Considéré comme le premier véritable super-héros, Superman apparaît en avril 1938, avec sa cape, ses bottes et son slip rouges, son « S » frappé sur un écu de poitrine jaune, et son justaucorps bleu, en couverture du mensuel Action Comics nº1 – édité par le futur DC comics. Face à un succès immédiat, le même éditeur publie un an après un autre personnage en cape et costume, mais sombre et masqué : The Bat-Man 1, qui fait la une du no 27 de Detective Comics. Si de nombreux autres super-héros apparaissent dans la foulée, Superman et Batman s’imposent comme les plus populaires et les plus emblématiques. Contrairement à la plupart de leurs congénères costumés, la publication mensuelle de leurs aventures ne connaîtra quasiment pas de pause. Ils ont créé et maintenu une véritable industrie, tout en alimentant régulièrement de nombreux autres médias de masse : feuilletons radiophoniques, cartoons, romans, serials, séries TV, jeux vidéos ou superproductions hollywoodiennes. Depuis plus de 75 ans, et alors que Batman V Superman : L’aube de la justice est sorti au cinéma ce mercredi 23 mars, c’est aussi deux visions de l’idéal américain de justice, des mesures antiterroristes ou des dispositifs de maintien de l’ordre qui se confrontent dans les sagas de ces super-héros.
Ce texte est issu du deuxième numéro de la version papier de Jef Klak, « Bout d’ficelle », paru en mai 2015 et encore disponible en librairie.
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« J’ai croisé beaucoup d’hommes. Certains étaient fringants, d’autres montaient un cheval blanc. Certains portaient même une couronne. Mais porter une cape sans avoir l’air stupide, voilà qui est intéressant. »
Lois Lane, Superman for all seasons
En septembre 2010, l’exposition « Habiter poétiquement (le monde) » marqua la réouverture du LaM de Villeneuve d’Ascq2. Rapprochant des œuvres de ses collections d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut, elle donnait à voir les impers que portait le plasticien Willem Van Genk pour se protéger des ondes nuisibles lorsqu’il arpentait la ville, et les robes, capes et tentures cousues et brodées dans les années 1940 par une femme anonyme de l’hôpital de Bonneval pour rejoindre son époux dans la mort.
Dans le catalogue de l’exposition, un article de Frédéric Logez3 intitulé « Seconde peau » décrit fait une anatomie comparée entre ces vêtements et les costumes collants des super-héros : « Première ou seconde peau, d’origine terrestre, extraterrestre ou divine, colorée ou non, de nature physique, technologique ou surnaturelle, le super-héros hors du commun enfile toujours un costume hors du commun. […] Pour [Superman et Batman], le processus est exactement inversé. L’un est lunaire, l’autre est solaire, mais tous deux usent d’un super-costume contre les forces du Mal. L’un, Batman, vient de la rue et utilisera l’ingénierie fine et la science pour confectionner son super-costume, sa seconde peau ; l’autre, Superman, vient de l’espace et son super-costume est sa force brute, sa seule et première peau. »
Habiter poétiquement la ville
Comme le cinéma, la bande dessinée naît avec la métropole moderne, et plus que tout autre genre, les comics de super-héros inventent un nouveau rapport à la ville. Ce n’est pas un hasard si la cité fictive où s’installe Superman s’appelle Métropolis, comme la ville à deux niveaux du film éponyme de Fritz Lang en 1927, vision pessimiste de l’avenir de l’homme. La Métropolis de Superman représente d’ailleurs uniquement la ville haute du film de Lang, baignée de lumière et occupée par une élite de privilégiés, alors que Gotham City4, territoire du Batman, évoque la ville basse où sont reléguées les masses laborieuses. Son architecture, ses lumières et sa météo brumeuse s’inspirent d’ailleurs de l’expressionnisme allemand, quand la ville de Superman rappelle plutôt les architectures futuristes. Deux faces de la cité moderne, environnement naturel des super-héros – lesquels créent des manières désirables de l’habiter : perché sous la lune en haut des plus hautes tours, ou survolant les gratte-ciel en plein soleil5.
Slips & freaks
En 1933, Jerry Siegel et Joe Shuster, publiaient dans un fanzine une première version de Superman : un personnage malfaisant, ivre de pouvoir et de conquêtes, avec des pouvoirs télépathiques nés de l’expérience d’un savant fou. Cinq ans plus tard, les deux juifs new-yorkais assistent à l’arrivée de réfugiés fuyant la montée du nazisme en Europe. Face aux fantasmes de race pure et de surhommes virils aux chemises brunes et noires, Siegel et Shuster inventent un super-héros alien en costume moulant aux couleurs saturées.
Le justaucorps bleu, l’insigne et la ceinture jaune, les bottes, cape, et slip rouges de Superman s’inspirent aussi directement du costume de « L’Homme fort » des spectacles de foire. Encore une fois comme le cinéma, dont les images muettes des débuts sont commentées en direct par un bonimenteur, les comics entretiennent une filiation directe avec le cirque et les arts forains. Les super-héros jouent sur un mélange de fascination et de répulsion envers leur altérité radicale, comme les monstres de foires exhibés dans les freak shows et autres cirques Barnum au début du XXe siècle.
Les couleurs criardes de tant de costumes de super-héros s’expliquent aussi par la qualité médiocre des comics bon marchés (Detective comics valait 10 cents). Les grosses trames bavaient tellement qu’il fallait des couleurs vives pour reconnaître immédiatement les héros. Le blanc fut longtemps évité – ce qui explique peut-être que Superman ait remplacé le blanc du drapeau américain par du jaune6.
Big Blue & Red Son
Depuis plus de 75 ans, des centaines de dessinateurs et écrivains ont pris en main les aventures de Superman, faisant évoluer son apparence dans les séries régulières, mais aussi dans de nombreuses versions alternatives ou projections futuristes7. La plupart des super-slips8 ont fini par abandonner la cape9 – pas Superman. Le bleu et le rouge de son costume ont parfois changé de nuance, mais le slip est resté au-dessus du froc. La taille de l’écu s’est agrandie pour couvrir l’ensemble de la poitrine musclée. Les cheveux ont subi les effets de la mode (Ah, le « mulet » des années 1980, tempes courtes et nuque longue !), sans perdre la mèche en « S » sur le front. L’histoire de la provenance du costume et de la signification du « S » pectoral ont été révisées10, mais le costume reste très proche de ses premières apparitions – contrairement à beaucoup de super-héros aux goûts plus versatiles, tels les X-men, dont l’accoutrement ne cesse de changer au gré de la mode, passant allègrement du lycra au latex ou des vêtements civils aux costumes punk, voire aux armures.
Certains dessinateurs ont réussi à livrer des images du plus puissant des Supers réellement marquantes. Ainsi Tim Sale avec son épuré Superman for all seasons, où le Grand S se fait pure ligne bleue, rouge et jaune. Ou Alex Ross et ses couvertures peintes inspirées de Norman Rockwell, mais aussi sa version de l’avenir, Kingdom come, où le passage du jaune au noir suffit à suggérer l’austère maturité de l’Homme de Demain. Sans oublier Frank Quitely avec All star Superman, dans la mise en scène d’une possible mort du Kryptonien, qui réussit à rendre crédible la double identité de Clark Kent et Superman, en opposant la puissance contenue du Grand Bleu aux postures exagérément maladroites de Kent, inspirées de la gestuelle du théâtre yiddish.
Des versions alternatives, il faut aussi retenir le savoureux Superman : Red Son où l’Homme d’Acier, s’étant à l’origine écrasé dans un kolkhoze en Ukraine au lieu d’un champ au Kansas, devient le super-héraut du communisme. Il succède à Staline, et convertit au socialisme l’ensemble des États de la Terre, à l’exception du Venezuela et des États-Unis. Ici, Superman est tout de gris et de rouge vêtu, la faucille et le marteau remplaçant le « S » sur la poitrine de son uniforme soviétique, tandis que son adversaire Batman, chapka sur les oreilles de sa cagoule, arbore « le noir de l’anarchie ».
La Vérité, la Justice et l’Idéal américain
Superman est souvent qualifié de personnage « iconique », ce qui en soit ne veut rien dire. Ou alors pour signifier qu’il est davantage une image qu’un personnage : son costume n’est pas seulement sa propre peau, il est tout entier une image animée. Une idée de l’Amérique en technicolor. L’icône est née durant la montée du nazisme en Europe, et en pleine crise économique aux États-Unis, sous la politique de « New deal » menée par le président Roosevelt. Dès la première page d’Action comics nº1, il se présente comme « champion des opprimés, la merveille physique qui a juré de vouer son existence à aider ceux dans le besoin ». Justicier progressiste, apôtre de l’individu et de l’action, sa première aventure dénonce la peine de mort, et il s’attaque aux maux de la Grande Dépression : mafia organisée, syndicats marrons, corruption politique, violence conjugale, alcoolisme, etc.
« Plus rapide qu’une balle, plus puissant qu’une locomotive, capable de sauter par-dessus des gratte-ciels d’un bond11 », il représente la modernité, tout en défendant les valeurs rurales de l’Amérique aux dépens de la ville et de ses dangers. Élevé dans la petite ville de Smallville au Kansas par un couple de vieux paysans tout droit sortis d’un film de John Ford, le bon « Supes » a grandi au biberon de leur morale manichéenne : « la Vérité, la Justice et l’idéal américain » qui devient sa devise. Mais en tant qu’alien adopté par les États-Unis, il représente surtout l’Amérique des immigrants, et revendique un humanisme multiculturel radical, sorte de politiquement correct avant l’heure.
Le gendarme de l’espace
Lors de la Seconde Guerre mondiale, Superman se fait « porte-drapeau de l’Amérique », et délaisse les problématiques sociales pour combattre les nazis et les Japonais. Dès 1940, il s’envole même en Allemagne et en Russie, pour attraper Hitler et Staline par le col et les livrer au jugement de la Société des Nations à Genève. Après-guerre, l’Homme de Demain reconstruit quelques quartiers vétustes, mais passe surtout son temps à combattre des super-vilains à sa mesure, comme Lex Luthor.
À cette époque, les aventures de super-slips ne font plus recette, et la guerre froide s’accompagne d’une autocensure paralysante. En 1954, le psychiatre Fredric Wertham accuse les comics de pousser au crime leurs jeunes lecteurs12. Les éditeurs préfèrent anticiper sur la censure gouvernementale ou parentale, et créent eux-mêmes un label de bienséance, le Comics Code Authority, qui prohibe toute représentation de la violence, de la sexualité, de la religion, du racisme, de la drogue, des vampires, loups-garous ou zombies, et impose au Bien de triompher du Mal. Ces règles poussent les encapés à se tourner vers la science-fiction. Le Kryptonien se fait alors gendarme galactique, porte l’idéal américain dans l’espace, et protège la Terre de menaces venues de lointaines planètes, comme le robot Brainac, collectionneur de villes qu’il miniaturise dans des bouteilles.
Dans les années 1970, les super-héros reprennent pied sur Terre, et le Comics Code Authority est peu à peu abandonné. Une nouvelle génération d’auteurs, qui a grandi avec ces mythes, porte un regard plus critique sur le genre. Le boy-scout en bleu commence à se poser des questions sur sa politique et sa manière manichéenne de traiter tous les problèmes à coup de bourre-pifs. Dans un épisode de 1972, « Superman est-il nécessaire ? », les Gardiens de l’Univers – extraterrestres qui surveillent les cent milliards d’étoiles de la voie lactée – accusent Superman de contribuer au « retard culturel des terriens » par son ingérence dans leurs affaires. De retour sur Terre, il défend un jeune Mexicain en grève contre son patron. Alors que les immigrants du bidonville l’acclament et demandent son aide, il commence par la leur refuser avant d’intervenir contre un séisme, puis de reconstruire leurs maisons. Mais le doute est en lui.
Iconique ta mère patrie
Dans les années 1980, le Champion de l’Amérique a de plus en plus de mal à assumer son humanisme candide. Toujours fidèle à « l’idéal américain », il apparaît souvent comme le valet servile de la politique va-t-en guerre de Ronald Reagan, que ce soit dans ses aventures ordinaires ou dans des futurs alternatifs, comme celui imaginé par Frank Miller dans The Dark Knight returns, où s’affrontent Batman et Superman : dans un avenir où les super-héros ont été interdits à l’exception de Supes, celui-ci attaque les troupes soviétiques pour protéger les intérêts américains (qui lui répondent à coup de missile thermonucléaire, provoquant un hiver nucléaire sur Gotham), et obéit à l’ordre de Reagan d’arrêter le vieillissant Batman, mort ou vif.
Dès lors, Superman, dont les pouvoirs n’ont cessé de croître (soulevant des immeubles à ses débuts, il peut désormais porter des planètes entières sur son dos), est de plus en plus dépeint comme inhumain plutôt que surhumain. Nombre d’aventures et de parodies insistent sur la dangerosité d’une telle puissance, tout en raillant son inefficacité devant la violence du monde. Dans les années 2000, Sentry13, la version Superman de Marvel, a la puissance d’« un million de soleils explosant », mais souffre d’un dédoublement de personnalité. Omni-man14, celle d’Image comics, est un extraterrestre qui se fait passer pour Protecteur de la Terre dans le seul but de la coloniser. Quant à The Authority, parodie de la Ligue de Justice15 qui réunit dans la même équipe les caricatures de Superman et Batman sous les noms d’Apollo et Midnighter (lesquels se marient et adoptent un enfant), cette série est souvent qualifiée d’anarchiste du fait de son irrévérence et de l’interventionnisme de l’équipe à un niveau mondial, ses membres n’hésitant pas à s’opposer aux États-Unis, à l’ONU ou à la France16.
La fête est finie
Face à cette inflation de Supers toujours plus brutaux et amoraux, le boy-Scout en bleu continue de défendre ses valeurs, mais en s’éloignant de sa nation d’adoption. Déjà dans l’adaptation cinématographique réalisée par Richard Donner en 1978, il avait commencé à promouvoir « la Vérité, la Justice et l’idéal humain », au lieu de « l’idéal américain ». Dans « L’incident » – épisode anniversaire publié dans Action comics no 900 en juin 2011 –, il va jusqu’à renoncer à la citoyenneté américaine quand des agents de la sûreté nationale lui reprochent d’avoir participé à une manifestation pacifique en Iran : « Je suis las que mes actes soient associés à la politique américaine. “La Vérité, la Justice et l’idéal américain”… Cela ne suffit plus. »
En septembre de la même année, les éditions DC décident de faire repartir à zéro les aventures de tous ses super-héros, et toutes ses publications au nº1, y compris Action comics et DC comics, dont la numérotation courrait depuis les années 1930. Ce reboot est nommé « Renaissance DC », ou « New 52 », puisque le lifting concerne alors 52 séries. Les nouvelles origines de Superman version « Renaissance » sont réécrites par Grant Morrisson, scénariste écossais qui réalise un pont entre l’Amérique de la Grande Dépression du Superman originel et celle de la crise économique des années 2010. Il renoue ainsi avec le concept fondateur : la défense des opprimés contre les élites corrompues autant que contre les savants fous, quitte à affronter les autorités.
Le jeune Superman recommence sa carrière en jean et T-shirt bleu, et seule sa cape kryptonienne raccorde avec le costume classique. Adulte, il porte un costume bleu, rouge et or, mais bien loin des collants d’avant-guerre : désormais, il s’agit d’une bio-armure kryptonienne, à la texture métallique et aux formes bodybuildées, comme dans la pesante adaptation cinématographique de Zack Znider en 2013. La référence au cirque se perd et le costume devient uniforme de combat. Fini le slip, même si une fine ceinture rouge lui dessine une sorte de tanga autour de la taille.
The Dark Knight begins
Bravant les impératifs techniques qui poussèrent les dessinateurs à donner des couleurs vives au costume de Superman, The Bat-man est lui aussi vêtu d’une cape et d’un slip porté au dessus de collants, mais cette fois dans des couleurs sombres, allant du gris souris au bleu nuit – à l’exception de sa bat-ceinture jaune aux sacoches pleines de gadgets. Alors que Superman se contente d’enlever ses lunettes et de changer de coiffure pour protéger son identité civile, le Batman cache son visage derrière une cagoule aux oreilles pointues. Apport essentiel à la mythologie du super-héros, le masque permet à la fois l’anonymat et la reconnaissance : il préserve l’identité secrète du super-héros, tout en donnant une visibilité à ses actions.
Si Superman s’inspire de héros de pulps et de comic strips comme Tarzan, Doc Savage ou Flash Gordon, l’homme chauve-souris tire du même fond populaire des influences plus sombres comme le célèbre The Shadow ou le Dracula des films de Tod Browning ; sans pour autant rompre avec ses origines foraines, notamment à travers le costume jaune, vert et rouge de son apprenti, Robin17. Comme Superman et Batman, Robin le « jeune prodige » est d’ailleurs un orphelin, dont les parents étaient acrobates dans un cirque. Son slip à grosses mailles vertes, porté à ses débuts sans collants, est particulièrement osé.
Lors de la révision de 2011, « Renaissance DC », Batman n’adopte pas d’armure intégrale comme dans les adaptations pour le cinéma de Christopher Nolan. Il conserve sous sa cape un costume gris, désormais en nomex ignifugé, mais toujours moulant. Cependant, lui aussi abandonne le slip et les collants pour un treillis gris avec une coquille blindée protégeant ses Bat-organes reproducteurs.
Guerre au crime, paix au manoir
Superman a souvent été comparé au président Roosevelt, tous deux prétendant lutter contre des forces hostiles, pour sortir l’Amérique de la crise et créer une société plus juste. Batman, lui, renvoie plutôt au parcours d’Edgar Hoover, qui fonda le FBI cinq ans avant la naissance du justicier masqué, et se fit le héraut de la « guerre au crime », versant policier du New Deal, censée démanteler les cartels mafieux au lendemain de l’abolition de la prohibition. Dans les années 1930, Edgar Hoover s’était fait une réputation médiatique et politique en mettant fin aux carrières de « Machine Gun » Kelly, Bonnie Parker et Klyde Barrow, John Dillinger, « Baby Face » Nelson, « Ma » Barker et Alvin Karpis – tous des bandits isolés, sans lien avec la mafia organisée en entreprises intégrées à la métropole.
Le Batman s’est quant à lui donné pour mission de venger la mort de ses parents, tués par un malfrat sur Crime Alley, en menant une lutte sans merci contre le crime. Or dès 1940, quand il prend pour partenaire le fringuant Robin et rencontre le Joker, « le Clown Prince du Crime », il devient le recours ultime contre les criminels extravagants. Véritable auxiliaire de la police (un « Bat-signal » est installé sur le toit du commissariat de Gotham en 1942), Batman mène dès lors la même politique qu’Edgar Hoover : s’attaquer aux criminels isolés ou regroupés en petites bandes, sans jamais vraiment toucher le crime organisé.
Le « plus grand détective » participe ensuite à l’effort de guerre en combattant nazis et vampires. Alors que les ventes chutent après la Seconde Guerre mondiale, il reste une des rares séries de super-héros publiées. Comme celles de Superman, ses aventures se tournent vers la science-fiction, et après l’instauration du Comics Code Authority, le ton vire à l’humour et à la dérision. En 1966, le succès de la série télé mettant en scène Batman et Robin renforce encore ce côté « second degré », et il faut attendre les années 1970 pour que le Chevalier noir revienne à des enquêtes plus sérieuses : Robin part à la faculté et Batman reprend « sa guerre au crime » en solitaire, notamment dans les aventures gothiques du jeune tandem Dennis O’Neil et Neal Adams.
Terroriser les terroristes
En 1986, Frank Miller et David Mazzuchelli revisitent les origines du personnage dans Batman : Année Un. Ils renouent avec l’influence du roman noir par des dessins sombres et épurés, et la description minutieuse de Gotham à travers les regards croisés du Batman et du commissaire Gordon. Sans costume mais grimé, fausse cicatrice et fond de teint, le justicier échappe de peu à l’emprisonnement lors de sa première mission, et rentre en son manoir blessé. Ruminant son échec dans son fauteuil de maître, il hésite à sonner son domestique pour se faire soigner, quand une énorme chauve-souris brise la vitre de son bureau et se pose sur le buste de son père. Se rappelant la terreur qu’il avait éprouvée enfant en tombant dans une grotte pleine de ces bestioles (qui allait devenir la Batcave), il prend la décision de se déguiser en chiroptère pour insuffler cette terreur enfantine à tous les criminels.
Miller réaffirme ainsi le mythe originel de l’Homme-chauve-souris, sa doctrine politique : non pas la vengeance, mais la terreur. Pour lutter contre le crime, il ne s’agit pas d’éliminer quelques criminels par la force ; il faut inspirer en leur corps une profonde terreur. Ne pas tuer, mais frapper. Mutiler certains pour donner l’exemple à tous. Comme dans ses premières aventures, Batman n’affronte pas des bandits bariolés, mais des familles mafieuses, des flics pourris et des élites corrompues. Cela dit, dès son premier combat, ce sont bien les os de jeunes ados qu’il brise, ce qui n’est pas sans rappeler les véritables effets de toute politique sécuritaire menée sous couvert de lutte contre le terrorisme ou le crime organisé.
Alors que le costume flashy de Superman, sa « première peau », ne fait que signaler son exception, celui de Batman a dès le début une toute autre fonction symbolique : inspirer la peur. C’est dans ce sens que lors de sa création, le scénariste Bill Finger convainc le dessinateur Bob Kane de passer au gris les collants de l’Homme-chauve-souris, qu’il avait imaginé rouges, et de tracer des ovales blanc en guise d’yeux sur la cagoule à pointes. Des choix ouvrant de formidables possibilités graphiques pour les dessinateurs futurs, leur permettant d’abstraire la Créature de la Nuit dans un travail de l’ombre et de la lumière. Le plus radical dans cette voie reste sans doute Dave McKean avec son mélange de peinture, photos et collages, dans le magnifique roman graphique publié en 1989 et écrit par Grant Morrisson : Arkham Asylum.
Night symbol
Au fil des ans, le gris souris des dessous du Chevalier noir et le jaune de sa bat-ceinture évoluent assez peu, alors que la couleur de sa cape, sa cagoule, son slip, ses bottes et ses gants se nuancent indéfiniment, du bleu nuit au violet jusqu’au noir profond18. Ce sont surtout la taille de ses fausses oreilles et le dessin de chauve-souris sur sa poitrine qui sont sujettes à interprétation. Ainsi Julius Schwartz, éditeur du Batman, invente en 1964 le logo noir en forme de chauve-souris dans un cercle jaune, repris dans la série TV à succès de la fin des années 1960. L’icône, à la fois logo et écu de chevalier, s’impose plus tard à l’ensemble de la planète lors de la colossale campagne marketing pour l’adaptation cinéma de Tim Burton mise en musique par Prince en 1989.
Le Chevalier de la nuit utilise aussi régulièrement différents Bat-costumes spécifiques (aquatique, volant, ignifugé, blindé…), plus proches de l’armure que du collant. Mais contrairement aux sept dernières adaptations cinématographiques de ses exploits, où les acteurs qui l’incarnent portent des combinaisons noires aux muscles dessinés, il n’abandonne jamais vraiment les collants gris souris dans les comics, et encore moins la cape, métonymie du super-héroïsme autant que motif visuel passionnant pour tous les dessinateurs amateurs de drapés et de plis.
Slip Gadget
Au-delà de sa fonction symbolique, le casque-cagoule protège identité et crâne, et assure une liaison permanente avec le majordome-à-tout-faire Alfred. Ses lentilles blanches confèrent au Batman une vision nocturne. La cape permet de planer, et dans certaines versions de voler. Les collants deviennent peu à peu pare-balles et ignifugés. Les gants sont pourvus de trois Bat-lames et divers gadgets de rechange. Surtout, la Bat-ceinture jaune, qui ressemble à celle d’un charpentier, contient dans ses sacoches autant d’armes et d’objets insolites que le sac sans fond de Mary Poppins.
Le plus célèbre de ces gadgets est un boomerang en forme de chauve-souris, le Batarang, de divers types : tranchant, explosif, électrifié, sonique, télécommandé. Mais les sacoches contiennent davantage : Bat-grappin, Bat-griffe, Bat-bombe, Bat-gel explosif, Bat-tyrolienne, Bat-taser, Bat-filtres à airs, Bat-lanceur de bombes collantes, Bat-séquenceur cryptographique, Bat-scanner portatif, Bat-brouilleur, Bat-grenade givrante, Bat-capsules de gaz (fumigène, lacrymogène, narcotique), drogues en tous genres, médicaments et antidotes… Impossible non plus de dénombrer tous les joujoux high-tech qui encombrent la Batcave : les différentes Bat-armures, le Bat-ordinateur à émetteur holographique, le Bat-gyro (en fait un Bat-hélicoptère), le Bat-plane, la Bat-moto, les innombrables Batmobiles (62 versions entre 1941 et 1990)… D’abord équipé de simples gadgets conçus pour blesser sans tuer, Batman utilise une technologie de plus en plus sophistiquée, développant par exemple des drones de combat à oreilles de chauve-souris. Il n’est pas seulement millionnaire et ingénieux, mais dirige un conglomérat d’entreprises lui permettant d’être toujours à la pointe de l’innovation technologique, et politique19.
Batman Incorporated
En 2011, le passage de Grant Morrisson comme scénariste de la série régulière du Chevalier noir, qui avait débuté en 2006, s’achève sur la création de Batman, Inc., une entreprise de sécurité internationale. À la mondialisation du crime organisé, Batman répond par la mondialisation du Batman. Après avoir orchestré la (fausse) mort de Bruce Wayne et sa succession dans le costume gris souris par Dick Grayson (le premier Robin), Grant Morrisson fait revenir l’original20, mais dans un autre rôle que celui de Protecteur de Gotham. Bruce Wayne décide de laisser cette fonction et son uniforme à son ancienne pupille, Robin, et d’endosser un nouveau costume, sans slip, afin de se consacrer à l’international à travers Batman Inc., nouvelle filiale de Wayne Entreprise.
Il recrute donc à travers la planète de nombreux super-héros et leur fournit logo chauve-souris et logistique. Il engage ainsi toute la Bat-family recomposée : Robin, Red Robin, Batgirl, Batwoman, Batwing, Huntress, Oracle, James Gordon, et parcourt le monde pour disposer d’agents dans chaque pays : Frère Chiroptère et Corbeau rouge (réserves indiennes), M. Inconnu (Japon), Black Bat (Hong Kong), Wingman (Mtamba, Afrique), Dark Ranger (Australie), El Gaucho (Argentine), Le Chevalier et l’Écuyer (GB), Nightrunner (Seine-St-Denis)21. Son principal critère de recrutement : des héros qui n’utilisent pas d’arme à feu et ne passent jamais la ligne éthique qu’il s’est fixée – ne pas tuer. À terme, le but est de développer des drones domestiques avec fonction de gardes du corps, bon marché : « Un Batman dans chaque maison. »
Le Vigilant en noir n’a pas toujours refusé les armes à feu. Dans ses premières aventures, il menace de mort les criminels, porte parfois un flingue, et ses adversaires meurent souvent au combat (mais toujours par accident). Fin 1941, craignant les associations de parents, le directeur de publication de DC décide que Batman ne doit plus jamais utiliser d’arme. Ceci est annoncé clairement dans le quatrième numéro du magazine Batman : « Batman ne tue jamais ni ne porte d’arme à feu ». Bob Kane et Bill Finger obtempèrent, et l’adversaire qu’affronte Bats pour la première fois dans ce numéro, le Joker, survit, et reviendra encore et encore.
Gardiens de la paix : mon œil
Comme le New Deal de Roosevelt et la politique sécuritaire d’Edgar Hoover, Superman et Batman s’opposent moins qu’ils ne se complètent. Indépendamment de la sensibilité des auteurs qui les animent, ils incarnent chacun à leur manière l’éthique individualiste de l’Amérique, l’un en technicolor, l’autre en noir et blanc, ainsi qu’une politique d’exemplarité. Le Grand Bleu avec ses grosses valeurs cherche à donner l’exemple à tous les humains, à inspirer les futurs défenseurs du Bien. Le Justicier de la nuit veut insuffler l’effroi aux suppôts du Mal. Deux faces de la même morale manichéenne, deux instances complémentaires de jugement et de maintien de l’ordre social.
L’alien devenu Champion bariolé de l’Amérique incarne depuis sa création un universalisme candide, politiquement aussi correct qu’inoffensif. Ce qui ne l’empêche jamais d’agir en super-flic : Superman s’oppose à la peine de mort, mais ne rechigne pas à condamner régulièrement ses ennemis à l’enfermement à perpétuité dans une « dimension de poche » : la « Zone fantôme ».
Le Batman a, quant à lui, « inventé » la doctrine de la police moderne : ne plus tant entretenir une image de respectabilité, de proximité avec la population comme Superman ou le gendarme de Saint-Tropez, mais s’imposer par la peur dans la rue. Terroriser pour dissuader. Mutiler pour faire exemple. Certes, les pratiques de la police américaine, par l’usage banal de l’assassinat par arme à feu, semblent démentir cette politique de cruauté raisonnée. Dans les faits, le développement d’armes dites « non létales » n’a diminué nulle part le nombre de gens tués par la police, ni le recours aux armes à feu. Il ne fait que banaliser et raffiner les « violences légitimes » exercées par la police. En France, le récent meurtre de Rémi Fraisse à la grenade, après tant d’éborgnés au flashball dans les rues et les manifestations, nous le rappelle brutalement22.
Aucune police au monde ne s’est mise à se vêtir de collants aux couleurs primaires. L’équipement et les vêtements des forces de l’ordre, de plus en plus conçus pour l’activité physique sinon militaire, se rapprochent davantage de ceux de Batman, et plus précisément des versions cinéma de la trilogie réalisée Christopher Nolan. Les costumes des SWAT américains sont tissés des mêmes matières que les costumes du Batman de Nolan : Nomex résistant aux flammes et Kevlar pare-balles23.
Heureusement, ce n’est sans doute pas la niaiserie du discours de Superman et le délire sécuritaire de Batman qui marquent le plus les imaginaires collectifs depuis plus de 75 ans. Comme les western, les histoires mythiques de super-héros sont en définitive moins des apologies du « vigilantisme » que des réflexions sur la puissance, la loi et la société. Ainsi, à côté des réquisitoires pour l’autodéfense de Frank Miller, d’autres auteurs, comme Alan Moore et son fameux Killing Joke, interrogent la violence abusive et la folie obsessionnelle de Batman, qui le rapprochent tant de ses vilains ennemis. Cette approche récurrente, au cœur de la trilogie Nolan, rappelle que l’action du premier super-héros de Gotham a entraîné l’apparition de super-criminels d’un degré de violence qui n’existait pas avant lui. La violence de la rue dépend directement du niveau de la « violence légitime », dans les comics celle des super-héros, en réalité celle de l’État.
Mais au-delà des interprétations contradictoires des mêmes mythes, la force politique de ces historiettes tient aussi simplement dans la puissance des images d’envol au dessus des gratte-ciels et de plongées dans les ruelles obscures, la force de l’ombre et de l’invisibilité, l’impertinence du slip et de la couleur.
Occupy Gotham
La dernière adaptation cinématographique de Batman, The Dark Knight rises, qui clôt la trilogie réalisée par Christopher Nolan, a été à la fois taxée de pro-démocrate par les Républicains, et de pro-républicaine par les Démocrates. Les Républicains considèrent que le super-méchant Bane fait référence à Bain Capital, le fonds d’investissement dirigé par leur candidat à la présidentielle, Mitt Romney. The Guardian (17 juillet 2012) estime que le film contient au contraire une « vision audacieusement capitaliste, radicalement conservatrice, et justicière qui propose de façon sérieuse, frémissante, que les souhaits des riches soient défendus dès lors qu’ils œuvrent pour le Bien. ».
En tous cas, quand le super-terroriste Bane, hybride entre un géant russe et un arabe voilé (toutes les peurs de l’Amérique condensées) commence par attaquer la Bourse pour la pirater, avant de proclamer (sous la menace d’une arme nucléaire) « rendre Gotham au peuple », difficile de ne pas voir une charge contre le mouvement Occupy Wall Street. Surtout en regard de l’insurrection qui vient ensuite, où les 99% vont allègrement expulser les riches de leurs manoirs, leur arracher leurs colliers de perles, et acclamer les Tribunaux populaires parodiant la Terreur qui suivit la Révolution française. Or même au cœur de ce chaos, Batman refuse jusqu’au bout les armes à feu. C’est sans doute une raison pour laquelle les Républicains américains, si liés aux lobbies des marchands d’armes, ne sauraient s’y reconnaître.
« The Dark Knight Rises n’est pas politique », affirme Christopher Nolan dans Rolling Stones magazine en juillet 2012. Comme la plupart des productions hollywoodiennes et des comics américains, le film est conçu pour que tous les publics s’y retrouvent, au moins partiellement. La satire d’Occupy Wall Street pour les Républicains, le discours de classe de Sélina Kyle (Catwoman, même si son nom de scène nocturne n’est jamais évoqué) pour les spectateurs marxistes, et la jouissance cathartique des scènes de destruction de la métropole participent de cette identification largement partagée. Il n’empêche, Nolan a beau jeu de proclamer ne pas délivrer de message particulier, son apologie de l’alliance des bons capitaliste et de la brave police, couplée à son mépris de classe pour ces 99% si facilement manipulables par le moindre fanatique, est franchement nauséabonde.
- The Bat-man perd son trait d’union après trois mois de publication, mais conserve souvent sa particule. ↩
- LaM : « Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut », situé à Villeneuve-d’Ascq. Sa collection d’art brut est une donation du musée L’Aracine. ↩
- Frédéric Logez est écrivain et dessinateur. Il a publié en 2014 La Bataille-Arras 1917, aux éditions Degeorge, très bel album de bande dessinée sur l’offensive britannique contre les lignes allemandes en Artois, qui mobilisa tunneliers néo-zélandais, soldats australiens, terreneuviens, canadiens, anglais, gallois,… ↩
- Gotham est un des surnoms de New York, attribué à Washington Irving, auteur américain du début du XIXe siècle. De mai 1939 à décembre 1940, Batman rend la justice dans les rues de New York. Il ne devient le protecteur de la ville fictive de Gotham City qu’en janvier 1941. Or Gotham City s’inspire tout autant de Chicago que de New York, et serait située sur la côte Nord-Est des États-Unis, dans le New Jersey, à 60 miles au nord de Métropolis. ↩
- L’éditeur de comics Marvel a utilisé à fond ces nouvelles manières d’habiter la ville dans les années 1960, en choisissant comme cadre des aventures de ses nouveaux personnages, non plus des cités imaginaires comme Métropolis ou Gotham, mais New York. Et nous sommes nombreux à connaître intimement la fameuse Grosse Pomme sans y être jamais allés, grâce aux acrobaties de Spiderman ou Daredevil. ↩
- C’est pour la même raison qu’Hulk et Iron Man, qui apparurent tous deux gris et risquaient de finir imprimés en gros pâtés noirâtres, devinrent rapidement vert, et rouge et or. ↩
- Les aventures de super-héros quasiment invulnérables pouvant se révéler à la longue quelque peu rébarbatives, les éditeurs ont vite publié des aventures exceptionnelles se déroulant dans le passé des personnages (les untold tales, comme les aventures de Superboy, version enfantine puis ado de Superman inventée en 1945, ou Batman : année Un qui narre les premières fois où Bruce Wayne enfile son costume de chiroptère), mais aussi des histoires présentant des versions alternatives de ces héros (les Imaginary stories, équivalents des What if de Marvel, qui mettent en scène ce qui pourrait se passer si certains détails avaient été différents, comme Superman : Red Son). ↩
- Le terme « super-héros » est depuis 1979 une propriété de marque conjointe des deux plus gros éditeurs de comics américains : Marvel et DC. Ce sont donc les seuls à pourvoir imprimer le terme sur les couvertures de leurs magazines, ce qui oblige leurs concurrents à inventer des synonymes : ultra-héros pour Malibu, méta-humains chez Wildstorm, « Héros de la science » pour America’s Best Comics, la collection d’Alan Moore. Mais dans toutes les publications, indépendantes ou non, les super-héros sont communément désignés par des expressions ironiques se référant à leurs costumes, telles « encapés », « masques », ou même « super-slips ». ↩
- Au moins depuis que Bill Dollar, super-héros d’opérette au service d’une banque, est mort abattu par des gangsters parce que sa cape était restée coincée dans un tourniquet, dans The Watchmen d’Alan Moore et Dave Gibbons, 1987. ↩
- John Byrne et George Pérez modifièrent la provenance du costume et la signification du « S » pectoral lorsqu’ils « modernisèrent » les origines de Superman en 1986 avec la mini-série Man of Steel. À l’origine, le costume et la cape ont été cousus par sa mère adoptive, et le « S » pectoral dessiné par son père adoptif en hommage à l’un de ses ancêtres, qui avait tenté de sauver des Indiens d’une épidémie : l’image est censée représenter un serpent, symbolisant la guérison. Désormais, comme dans la version cinéma de Richard Donner en 1978, le costume est une relique de la planète Krypton, dont est originaire Superman, et le « S » rouge sur fond jaune l’emblème de la dynastie El, (c’est-à-dire de la famille de Kal-El, le vrai nom de Superman), un symbole kryptonien signifiant « Espoir ». En tous cas, dans aucune version il ne s’agit vraiment d’un « S », et dans toutes, c’est l’éternelle fiancée du boy-scout en bleu, la journaliste arriviste Lois Lane, qui invente le nom de Superman à partir de ce malentendu. ↩
- Les pouvoirs de Superman sont à l’origine calqués sur ceux de John Carter, le héros d’E. R. Burroughs dans Princess of Mars (1917) et ses suites. Mars ayant une gravité moindre par rapport à la Terre, lorsque John est téléporté sur cette planète, il se retrouve doté d’une force herculéenne qui lui permet de faire des bonds gigantesques. De même Superman, qui vient de Krypton à la gravité plus élevée, ne vole pas à ses débuts, mais fait des bonds au dessus des gratte-ciels. ↩
- La campagne de Wertham contre les comics concerne tous ceux qui représentent des scènes de crimes, qu’ils soient consacrés à des histoires de gangsters et d’affaires de meurtre (un genre très populaire à l’époque), de super-héros ou d’horreur. Il insiste notamment sur l’ambiguïté de la relation affective entre Batman et Robin, son Garçon prodige. ↩
- The Sentry est un personnage créé par Paul Jenkins et Jae Lee dans la mini-série homonyme publiée en 2000. D’abord présenté comme un héros du passé oublié de tous, même par son créateur, Stan Lee, il fut révélé par la suite qu’il ne s’agissait que d’une stratégie marketing de Marvel Comics. ↩
- Omni-Man : parodie de Superman et père d’Invincible, super-héros et titre de la parution homonyme écrite par Robert Kirkman, dessinée par Cory Walker puis par Ryan Ottley et publiée par Image Comics. ↩
- The Authority est une équipe de super-héros créée par Warren Ellis pour WildStorm, parodiant la Ligue de Justice d’Amérique, équipe réunissant les plus célèbres super-slips de l’éditeur DC comics : Superman, Batman, Wonder Woman, Green Lantern, Flash… ↩
- Un épisode d’Action comics, daté de mars 2001, réaffirme les vieilles valeurs de Superman, en parodiant à son tour le discours anarcho-punk de la parodie. Dans cette aventure, intitulée « Qu’est-ce que la Vérité, la Justice, et l’idéal américain ont de si drôle ? », The Authority devient « l’Élite » et voici son manifeste : « Nous ne croyons pas aux Nations. Nous ne croyons pas aux traités. Ni aux frontières, aux classes ou aux programmes… Il y a d’un côté les bons, c’est-à-dire nous, et de l’autre côté les méchants, c’est-à-dire tous ceux qui traitent les autres comme de la merde pour satisfaire leurs petits besoins. Le monde nous attendait. Maintenant, il nous a. Soyez gentils ou nous raserons votre maison avec une bombe anti-connard à fragmentation. Gros bisous. » Supes finira évidemment par vaincre ces petits prétentieux et réaffirmer son rêve d’un monde de Vérité et de Justice. ↩
- Superman, lui, n’a pas d’apprenti costumé, mais une cousine kryptonienne, Supergirl, habillée quasiment comme lui : la jupette remplace le slip. Ainsi qu’un super-chien, Krypto, venu de la même planète et portant une cape rouge. Steaky et Comet, respectivement le super-chat et le super-cheval de Supergirl, portent eux aussi une cape et volent, tout comme le super-singe en slip Beepo. Batman s’entourera quant à lui de toute une Bat-famille amatrice de collants et cagoules à cornes : en sus d’épuiser plusieurs Robin, Batgirls, et Batwomen, il se fera également accompagner dans ses aventures d’un Bat-molosse nommé Ace, qui ne porte pas de cape mais un masque, pour ne pas qu’on le reconnaisse à partir d’une tache caractéristique sur son museau. ↩
- Un des rares avatars vraiment coloré du Batman vient de la reprise de la série par Grant Morrisson entre 2006 et 2011. Lors de ce long run, le scénariste écossais s’ingénia à convoquer les histoires passées de l’Homme-chauve-souris comme si elles décrivaient une même biographie, multipliant les allusions aux histoires les plus extravagantes. Il exhuma par exemple une scène de 1958 : le « Batman de Zur-En-Arrh ». De ce personnage issu d’un univers alternatif, la Terre X, Morrisson fait une sorte de personnalité de rechange créée par Bruce Wayne par auto-hypnose pour se prémunir des attaques psychologiques. S’il perd la mémoire ou devient fou, l’entité prend le contrôle le temps que Bruce Wayne reprenne ses esprits. Ce qui finit par arriver : Wayne devient le Batman de Zur-En-Arrh, se confectionne un costume aux couleurs criardes, rouge, jaune, et violet, et attaque ses ennemis de manière bien plus violente que sa version grise. ↩
- Selon un petit manifeste politique à la mode sur certains plateaux, À nos amis, du Comité invisible (La Fabrique), la politique révolutionnaire doit réunir les qualités du prêtre, du guerrier et du producteur. Autrement dit, articuler trois dimensions : l’esprit, la force et la richesse. L’intelligence déductive et l’imaginaire de la peur, l’entraînement intensif et la violence cathartique, la fortune et la logistique capable de financer une ingénierie high-tech : Batman mène une politique révolutionnaire. ↩
- Dans la série « Le retour de Bruce Wayne », Batman, que tout le monde croit mort, mais qui a en fait été projeté dans le temps, traverse les siècles de la préhistoire jusqu’à nos jours, en passant par les époques de la piraterie, de la chasse aux sorcières, du western et de la prohibition.
Grant Morrisson affine le mythe du costume du Batman : il le fait remonter à la préhistoire, où Bruce Wayne endosse une peau de chauve-souris géante, qui deviendra une relique sacrée veillée par une tribu vivant dans la grotte qui abritera la Batcave des siècles plus tard. ↩ - Nightrunner, lourdement traduit en « Parkoureur » est un super-héros français créé par le scénariste anglais David Hine et le dessinateur Tom Lyle en décembre 2010, et recruté pour Batman, Inc. en France. Son identité secrète est Bilal Asselah, jeune français d’origine algérienne et de confession musulmane, habitant Clichy-sous-Bois et adepte du Parkour (discipline sportive de déplacements dans l’espace urbain). Son frère est mort tué par la police au cours de violentes émeutes, et il n’aura alors de cesse de protéger les siens de la police… et la police des émeutiers. Ses premières apparitions dans les comics déclenchèrent une vive polémique chez les conservateurs américains qui n’apprécient pas qu’un musulman représente Batman. Malgré quelques apparitions furtives dans Batman, Inc., son histoire n’a toujours pas été publiée en France. ↩
- La brutalité assumée du Batman (comme celle de la police) n’a cependant rien à voir avec le fascisme comme on l’y réduit trop souvent. Elle est profondément liée à la démocratie et à la république. Le Justicier masqué est celui qui suspend la loi pour la défendre, la « force obscure » de la démocratie. Comme le dictateur que convoquaient les citoyens romains pour sauver la république menacée (référence explicite dans le film The Dark Knight rises). ↩
- Le site internet <moneysupermarket.com> a calculé le prix de la combinaison et des accessoires de Batman dans The Dark Knight rises. Devenir Batman coûterait 562 millions d’euros, construction du manoir Wayne comprise. Le costume coûterait 870 000 euros, dont la quasi-totalité pour son masque, qui vaut à lui seul 820 000 euros. Le bustier pare-balles en Kevlar vaudrait 2 500 euros, plus 950 euros de renforts en carbone ainsi qu’une coquille à 850 euros pour protéger le système reproducteur de l’Homme-chauve-souris. La cape infroissable : 32 000 euros. Pour les gadgets, 133 000 euros, l’équipement le plus cher étant le pistolet lance-grappin à 41 000 euros. Vu l’évolution du budget de l’État, même avec le développement de la politique sécuritaire, l’équipement de la police française n’est cependant pas prêt de suivre. C’est déjà ça. ↩