Pour identifier leurs bêtes à l’usage des services vétérinaires et administratifs, les éleveurs et éleveuses de brebis devaient apposer sur chacune de leurs bêtes une, puis deux boucles à l’oreille. Depuis 2015, c’est à présent une puce RFID émettant des informations par lecture sans contact qui est devenue obligatoire. Sous couvert de traçabilité, cette technologie de contrôle sert avant tout à industrialiser plus encore les mouvements des animaux, qui sont décrits dans les textes officiels comme du « minerai-viande ». Une logique gestionnaire et informatique qui n’a rien à voir avec la pratique des bergers et bergères qui s’occupent de petits troupeaux, font de la vente directe et gardent un lien de compagnonnage avec les bêtes. Aussi certain·es se sont regroupé·es autour du collectif Faut pas pucer, pour continuer à mener leur vie et organiser leur métier dignement. Des contrôles réguliers de l’administration statuent sur le montant des prestations sociales indexées à la soumission aux normes d’identification électroniques. Depuis 2013, le collectif Faut pas pucer résiste à ces contrôles en les rendant publics, et ce sont des dizaines de camarades qui viennent chaque fois en soutien. La solidarité et aussi de mise, pour aider collectivement les petit·es éleveurs et éleveuses qui subissent de lourdes sanctions financières. Le 22 novembre 2017, ce sont 100 personnes qui sont venues soutenir deux berger·es contrôlé·es dans dans une ferme du Tarn.
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Mercredi 22 novembre, c’était le premier contrôle d’une administration agricole sur la ferme de Granquié depuis quatre ans. La dernière fois, en mai 2013, les contrôleurs de la DDT avaient constaté l’absence de bouclage électronique de nombreuses brebis, ce qui avait occasionné 20 000 euros de sanctions contre Nathalie Fernandez et Laurent Larmet. Hier, comme il y a quatre ans, 100 personnes étaient venues à l’appel du collectif tarnais Faut Pas Pucer soutenir l’éleveur et l’éleveuse à l’entrée de leur bergerie, pour un contrôle des services sanitaires annoncé simplement l’avant-veille. Sous le regard défiant des opposants au puçage électronique, les contrôleurs ont fait leur office. Venus parce que la Maison de l’Élevage (EDE) leur avait signalé qu’elle ne recevait pas de recensement du troupeau depuis plusieurs années, ils ont pu constater que celui-ci se portait bien, qu’ils n’avaient aucun reproche à faire sur la santé des bêtes.
Sur le chapitre de l’identification, ils ont noté qu’aucun animal n’était en conformité avec la réglementation mais que presque tous étaient identifiés, à la convenance de l’éleveur et de l’éleveuse (par un nom, un numéro à la patte, un tatouage…). Les contrôleurs les ont averti que ces modalités choisies par eux ne suffisaient pas, que « l’électronique, il faudra[it] y venir ». Ce à quoi Nathalie Fernandez a rétorqué que « les puces RFID étaient porteuses d’un monde dont [elle] ne voulait pas, qu[’elle] appliquait seulement les règles dont [elle] comprenait la logique et qui pouvaient [lui] servir ». Laurent Larmet a ajouté que « les réglementations actuelles sont faites pour la grande distribution et n’ont aucun sens pour des gens comme [nous] pratiquant une petite agriculture ».
Pendant ce temps, dehors, la centaine de personnes présentes se sont mises en rond pour discuter. Plusieurs prises de parole sont consacrées à la mort de Jérôme Laronze, éleveur de vaches de la Saône-et-Loire, tué sous les balles de la police, en mai dernier, suite à des contrôles extrêmement tendus sur sa ferme. On évoque le comité Justice et vérité qui se réunit à Mâcon le 20 de chaque mois pour honorer sa mémoire ; le groupe Hors-norme constitué d’éleveurs et d’éleveuses de toute la France, qui s’organise depuis l’été pour lutter contre la prolifération des normes en agriculture ; et une autre coordination nationale, Écran total, qui tente de fédérer les résistances éparses contre le management, la bureaucratie au travail et l’informatisation de toute la vie sociale. Après le départ des contrôleurs, la discussion a continué pour réfléchir aux actions à mener en cas de nouvelles sanctions contre les éleveurs et éleveuses désobéissant⋅es.
« À qui profitent les normes ? » demandait l’une des banderoles brandie ce mardi 28 novembre à la ferme d’Al truc sur la commune de Saint-Sulpice dans le sud du Tarn. « Les troupeaux n’appartiennent pas à l’État ! », « Jérôme Laronze : l’administration l’a harcelé, l’État l’a tué ! » en proclamaient d’autres. Une semaine après le contrôle des services sanitaires à la ferme de Granquié à Montredon-Labessonnié, c’est au tour d’Adeline Galaup et Pierre Mestre de subir le même contrôle par les mêmes agents.
Pierre et Adeline élèvent une cinquantaine de chèvres et fabriquent leurs fromages qu’ils vendent au marché à une clientèle habituée. À l’appel du collectif Faut Pas Pucer, une centaine de personnes environ est venue les soutenir. Ces deux chevrier⋅es refusent en effet de poser des puces électroniques RFID aux oreilles de leurs bêtes et d’appliquer le principe industriel de traçabilité dans leur élevage. Les fonctionnaires ont donc constaté une « identification non conforme » des animaux puis, gorgés de certitudes sanitaires et de paternalisme, ils ont procédé à un décorticage inquisiteur des pratiques d’élevage à partir des différents documents rassemblés. L’éleveur et l’éleveuse peuvent s’attendre à des amendes et des représailles financières sur le versement des primes agricoles.
En s’appuyant de manière très contestable sur des arguments de santé publique et de protection de l’environnement, l’administration a l’ambition, grâce aux « nouvelles technologies » de gérer les troupeaux et les fermes à la place des éleveurs et des éleveuses. Le commerce de puces électroniques, de progiciels, de tablettes, de drones, etc. a de beaux jours devant lui. « Pour qui travaillent les fonctionnaires ? À qui appartiennent les troupeaux ? » C’est en somme ce que se demandaient les éleveurs et leurs soutiens mardi dernier autour d’une bonne soupe, de bons vins et fromages.
Invitation à écrire des lettres de soutien
Afin de prolonger et d’affirmer plus fortement encore notre opposition au puçage et à la traçabilité, nous vous proposons d’écrire des lettres de soutien aux éleveurs et éleveuses menacé⋅es adressées aux administrations : DDCSPP (service sanitaire) et Maison de l’Élevage. À chacun d’argumenter les raisons de s’opposer au puçage. Les arguments peuvent partir du quotidien, de considérations écologiques ou politiques. Ou encore faire écho à des situations éloignées de l’agriculture, replacer cela dans une évolution plus générale de la société…
Nous vous demandons d’envoyer une copie au collectif Faut Pas Pucer.
Adresses postales :
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DDCSPP, Santé et protection animale
18, avenue du Maréchal Joffre
81013 ALBI Cedex 9 -
Maison de l’Élevage (EDE)
96, rue des agriculteurs
BP 102
81003 ALBI Cedex -
Faut Pas Pucer (mémé dans les ordis)
Le Batz
81140 St MICHEL DE VAX
fautpaspucer@laposte.net
Vendredi 1er Décembre 2017
FPP
Pour aller plus loin
• Mouton 2.0 – La puce à l’oreille
Film – 77min
Réalisation: Antoine Costa et Florian Pourchi
Avec : Jocelyne Porcher (Sociologue), Alain et Mathias Guibert, Jean-Louis et Danièle Meurot, Antoine de Ruffray, Sébastien Pelurson (eleveurs) – Le collectif Drôme contre le puçage et le collectif PACA pour la liberté de l’élevage, Jean-Michel Loubry (Pôle de traçabilité de Valence) Edmond Ricard (INRA)
• La transhumance contre le puçage des troupeaux
Terre à terre par Ruth Stégassy, Radio 57min
• Le collectif Ecran Total contre la gestion et l’informatisation de nos vies
• « Mes brebis comme des machines ». Entretien avec des bergers
Matthieu, la trentaine, est berger depuis quatre ans. Il a environ 150 brebis qu’il mène chaque année en transhumance. Paul, la cinquantaine, est « né dans les brebis », mais il a son propre troupeau depuis dix ans. Avec 200 bêtes, « deux cents mères », il reste sur son terrain toute l’année. Ils se sont tous les deux mobilisés contre le puçage électronique de leurs troupeaux qui doit être imposé début 2010.
Publié dans le no 1 de la revue Z, printemps 2009.