Traduction par Ferdinand Cazalis
(Avec le concours de Grégoire Chamayou)
Texte original : e-flux journal #65 Supercommunity, mai-août 2015.
Pollués, surexploités ou encore spoliés, les sols sont au cœur des discussions sur l’écologie. Mais serait-il aussi légitime de parler des questions climatiques en termes de colonisation du ciel et de l’atmosphère ? À partir d’études scientifiques et de déclarations issues des représentants des pays du Sud lors des précédentes conférences sur le climat, l’architecte anglais Adrian Lahoud nous présente l’atmosphère à la fois comme vecteur et témoin des changements anthropogéniques majeurs des siècles derniers. Il cherche ainsi à redéfinir les responsabilités des pays industrialisés du Nord et à mettre en évidence les effets sociaux des bouleversements environnementaux passés ou à venir. Un voyage à bord des poussières du monde, des carottes glaciaires et des courants océaniques – jusqu’aux révoltes populaires.
Le frontispice de l’Instauratio Magna, publié par Francis Bacon en 1620 représente un navire traversant le Détroit de Gibraltar, voguant vers le large au pied des légendaires Colonnes d’Hercule. L’embarcation quitte les eaux de la Méditerranée pour celles de l’Atlantique. La scène nous dépeint le moment qui précède la traversée, mais curieusement, le point de vue adopté n’est pas celui d’un spectateur resté sur le rivage européen : le bateau avance vers un observateur qui se tient déjà quelque part en Atlantique et qui, en se retournant sur lui-même, plonge son regard vers l’est et peut-être même vers le passé. La scène marque un tournant, non seulement pour les Méditerranéens, dont les centres de pouvoir subissaient alors un déplacement vers l’ouest – Portugal et Espagne –, mais aussi pour les Amériques, dont le destin était en train de changer irrévocablement. En regardant aujourd’hui cette image, on ne peut s’empêcher de penser que la scène préfigurait un moment paradigmatique pour les siècles à venir. Sans que cela ait été forcément voulu, cette image baconienne d’un navire à l’approche nous fait adopter la perspective imminente du colonisé, celle qu’il ne tardera pas à avoir sur l’autre rive au moment du premier contact.
Près de cinquante ans plus tôt, à Anvers, un cartographe du nom d’Abraham Ortelius inspiré par les projections de Gérard Mercator, publiait un atlas qui allait servir de référence géographique ultime en Europe. Intitulé Theatrum Orbis Terrarum (Théâtre du globe terrestre), le projet rassemblait quatre-vingt-huit références cartographiques différentes, inaugurant l’ère de la cartographie moderne et fournissant une image de la Terre, de ses mers et continents qui combinait tout à la fois un niveau de précision difficilement imaginable pour l’époque et des spéculations ethnographiques et géographiques tout droit venues du Moyen-Âge. Entre la première ère coloniale et la fin du XIXe siècle, ces anciennes géographies fantastiques seraient abandonnées au nom de l’objectivité scientifique, initiant un autre mythe géographique qui allait dominer la période – ce que le marin Charles Marlow, personnage d’un roman de Joseph Conrad, appelait « les espaces blancs sur la Terre »1. Parmi les premières représentations de ce type, la carte de l’Afrique établie par Jean-Baptiste Bourguignon d’Anville en 1749 se distinguait des précédentes en ce qu’elle introduisait pour la première fois, entre l’encre noire et la page blanche, entre le connu et l’inconnu, entre l’occupé et le vide, le tracé d’une zone frontière2.
Aujourd’hui, la frontière coloniale entre le connu et l’inconnu ne passe plus par ce contraste entre encre noire et papier blanc, par cette démarcation qui avait tant aiguisé les appétits de pillages et d’expansion coloniale. À présent, la frontière se marque plutôt par un seuil entre haute et basse résolution. Les scientifiques discutent actuellement de plusieurs critères de datation pour l’Anthropocène, cette nouvelle ère géologique. Les marqueurs proposés vont du méthane relâché par les premières communautés agricoles aux environs de 5000 AEC3 jusqu’aux retombées radioactives des premiers tests atomiques des années 1950, en passant par les émanations dues à l’exploitation du charbon pendant la Révolution industrielle. Quoi qu’il en soit, en 2015, des scientifiques qui étudient les changements atmosphériques enregistrés en haute résolution dans les carottes de glace antarctiques ont fait une découverte étonnante, susceptible de fournir l’indicateur le plus clair et le plus marquant d’une transformation anthropogénique planétaire majeure, la toute première preuve d’un changement climatique engendré par l’homme. Au cours des cinquante ans qui séparent la publication du Theatrum Orbis Terrarum en 1570 de celle de l’Instauratio Magna en 1620, il s’est produit quelque chose de complètement inattendu dans l’atmosphère terrestre : le niveau global de CO2 a soudainement chuté4.
Mais pourquoi une telle modification du niveau de CO2, des siècles avant l’invention des moteurs à vapeur et à combustion ? Les estimations les plus récentes indiquent que la colonisation des Amériques a coûté la vie à 50 millions de personnes dans la population autochtone5. En plus des registres écrits recensant une telle hécatombe, un témoignage macabre perdure dans la stratigraphie terrestre6. La mémoire historique enveloppée dans les carottes glaciaires a enregistré cet événement : les populations d’Amérique ayant disparu, il ne restait plus personne pour entretenir leurs cités, et les arbres n’ont pas tardé à reprendre leurs droits sur de vastes étendues de terres auparavant cultivées. Toutes les villes, tous les canaux, les terrassements et les chaussées, en somme toutes les traces des civilisations amazoniennes et méso-américaines, sont rapidement retournées à l’état de forêts. Une poignée de générations a suffi à l’Amazonie pour réoccuper ce que les conquistadors avaient détruit. Assoiffé de CO2, cet accroissement sans précédent de vie végétale a été si fort qu’il a laissé sa marque dans la mémoire globale de l’atmosphère. Et c’est seulement parce que le génocide a été si total qu’une telle chose a pu se produire7.
Lors du Sommet de l’ONU sur les changements climatiques en 2009, Lumumba Di-Aping, responsable des négociations pour le G77, qui représente 132 pays en développement, a repris à son compte le mot « génocide », mais en l’accolant cette fois-ci au mot « climat ». Avec ces deux mots, Di-Aping visait directement les membres du G20, les accusant d’être à l’origine d’une tentative de « colonisation du ciel ». Cette déclaration intervenait au milieu de négociations hantées par le spectre de l’effondrement financier de l’année précédente. Une foule d’activistes attendait aux portes du Bella Center de Copenhague, se demandant si un accord serait signé à la suite de Kyoto. Dans le centre des congrès, alors que les négociations tournaient au fiasco, Di-Aping convoqua une conférence de presse impromptue pour les délégués des organisations de la société civile. En préambule à cet événement improvisé, Di-Aping demanda à toutes les personnes présentes d’éteindre leurs appareils enregistreurs. Dans les minutes qui suivirent, il allait faire une grave entorse au protocole diplomatique en dévoilant publiquement le calcul privé qui était en train de se jouer en coulisses. Les jours précédents, à l’insu du G77, une ébauche secrète d’accord avait circulé parmi les membres du G20. Tout comme lors de la conférence de Berlin 125 ans plus tôt, les nations africaines avaient une fois de plus été exclues des délibérations concernant leur propre destin – à la différence près que cette fois-ci, la ruée vers les surfaces coloniales avait été remplacée par un accaparement colonial des hauteurs et des profondeurs. Ce fait pouvait à lui seul justifier que Di-Aping invoque le colonialisme, mais nous étions encore loin de l’aspect le plus inquiétant de sa présentation.
À la quatrième ligne du deuxième paragraphe, l’ébauche d’accord proposait un engagement à limiter l’augmentation globale de température à deux degrés au-dessus des niveaux préindustriels. Mais ce nombre cachait en réalité un calcul de vie et de mort. Dans sa violente abstraction, cette moyenne globale nie le fait que l’impact climatique affecte les peuples à des échelles très inégales. Elle efface leurs spécificités dans ses calculs. Une augmentation moyenne globale de 2 degrés se traduirait en réalité par un accroissement catastrophique de 3,5 degrés dans nombre de pays représentés par Di-Aping.
Le dernier rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur les impacts climatiques en Afrique montre que l’emploi du mot « génocide » par Di-Aping était tout sauf rhétorique. On estime que la mortalité due à la malnutrition et à la maladie devrait toucher 250 000 personnes par an entre 2030 et 2050, et ceci sans compter les facteurs de tensions thermiques qui exacerbent les conflits sociaux et civils8. Certains organes de presse ne tardèrent pourtant pas à s’indigner, scandalisés qu’un diplomate soudanais ose renvoyer l’accusation de génocide du Sud vers le Nord9.
Le climat terrestre est un phénomène d’une telle complexité qu’il est difficile de tracer une démarcation nette entre les causes et les effets. La planète est comme un réservoir de complications dans lequel chacun peut puiser pour dissimuler ses propres traces. En raison de la longue durée de vie du CO2 dans l’atmosphère, ce gaz a tendance à se disperser plus facilement que les autres polluants ; par ailleurs, toutes ses molécules étant identiques, le dioxyde de carbone ne laisse aucune empreinte spécifique permettant d’en identifier la source. Il en va tout autrement pour les aérosols10. En 2006, une équipe de recherche dirigée par Alessandra Giannini à l’Earth Institute de l’université de Columbia fit une belle découverte, dont on n’a pas encore perçu toutes les implications. Ces chercheurs ont étudié la température de la couche superficielle de l’océan Atlantique, et plus spécialement dans la Zone de convergence intertropicale : là où les courants chauds en provenance des tropiques se mélangent avec les eaux froides venues des pôles.
En raison de la forme sphérique de la Terre, les océans et l’atmosphère de la région équatoriale reçoivent de plus fortes doses d’énergie solaire. À l’instar des chemins de fer et des autoroutes, les courants océaniques et les vents dominants peuvent être considérés comme des éléments d’infrastructure, à ceci près qu’ils ne sont pas fixés au sol par du béton et de l’acier, et qu’ils ont plutôt vocation à faire circuler des énergies. Giannini et son équipe ont découvert que les moussons qui apportent la saison des pluies sur le continent africain sont hautement sensibles aux changements de gradient de température entre les eaux froides ou chaudes, leur interaction devenant plus ou moins turbulente selon le différentiel de température. Cette turbulence détermine l’apport en humidité dans l’atmosphère et accroît l’intensité des moussons africaines.
Une telle découverte a de lourdes implications pour la science du climat. Les scientifiques savent depuis longtemps que l’activité humaine influe sur les températures à la surface de l’océan Atlantique. Cela n’est pas en soi particulièrement remarquable tant il est vrai qu’il n’y a presque plus rien sur terre qui n’ait pas déjà été touché par l’être humain. Mais ce n’est pas l’activité humaine en tant que telle qui produit ces changements ; c’est bien plutôt l’activité industrielle dans l’hémisphère Nord, et plus spécifiquement l’émission des aérosols à partir de combustibles fossiles qui pousse les températures à augmenter11. À la différence du CO2, chaque particule d’aérosol est unique, avec une courte durée de vie, ce qui les rend diaboliquement difficiles à intégrer dans les modèles climatiques, mais très utiles pour une étude forensique12 du climat. La science du climat sait pertinemment, et depuis un moment déjà, que des émissions d’aérosol peuvent entraîner une baisse mesurable de température. C’est ce qu’on appelle l’« assombrissement global13 ». Ce phénomène explique pourquoi des zones situées dans le sens du vent par rapport à des centres industriels peuvent connaître des températures plus basses que la normale ; c’est aussi la raison pour laquelle Turner a peint d’aussi beaux couchers de soleil en 1816 – une année sans été, après que le volcan Tambora en Indonésie a rejeté d’immenses quantités de particules en suspension dans l’atmosphère14.
Pendant des années, on a cru que la sécheresse et la famine dans la région du Sahel en Afrique du Nord étaient exacerbées par les pratiques des paysans pauvres, entraînant la dégradation des sols. La dominance de cette logique a conduit à un conflit épistémologique désastreux : des ONG étrangères, appuyées par des tonnes d’analyses quantitatives, ont émis des propositions pour réformer les pratiques agricoles, à l’encontre des formes indigènes de savoir qui avaient depuis toujours compris la pluie, les sols et les récoltes comme un jeu de qualités interagissantes. Aujourd’hui, le changement anthropogénique du climat a imposé un réexamen des causes de la sécheresse au Sahel. Le paternalisme dominant qui dictait les réformes agraires est à présent mis sens dessus dessous, au moment même où la science commence à comprendre ce que cela signifie de se retrouver en aval, sur la trajectoire des vents venant de tous les Tamboras industriels du Nord.
L’accusation de génocide émise par Di-Aping peut être comprise comme un appel pour l’instauration d’une échelle de calcul différente, un prérequis pour établir des termes justes dans les négociations sur le climat – une échelle de critères suffisamment précis pour saisir les effets inégaux du réchauffement. À mesure que les modélisations du climat s’améliorent, ce qui apparaissait autrefois comme un opaque réservoir de complications commence à révéler une architecture occulte de relations diffuses et atténuées. Cette architecture est un nouveau genre de carte qui explique comment l’activité d’une partie de la planète peut affecter la vie dans une autre partie du globe. De telles simulations sont en train de devenir les véhicules du droit et de la politique. Sous la question du degré de résolution que l’on adopte pour ces modèles se cachent des crimes en attente d’être poursuivis15.
En 2006, des scientifiques enquêtant sur le comportement des poussières atmosphériques ont été confrontés à un exemple étonnant d’action à distance qui n’avait rien à voir avec l’activité humaine. Au Tchad, la dépression du Bodélé est un ancien bassin de lac qui n’a plus été alimenté en eau depuis l’Holocène16. Le lit de cet ancien lac est toujours rempli de résidus desséchés d’algues et d’autres formes de vies microbiennes marines dont il regorgeait jadis. Au nord-ouest s’étendent les chaînes de montagnes du Tibesti et de l’Ennedi. Quand le lac, les montagnes et un vent appelé l’Harmattan conjuguent leurs efforts, un puissant jet-stream d’air se met à souffler sur les algues sèches, les réduisant en poussière. Lorsque cela a lieu, 700 000 tonnes de poussière peuvent alors être projetées dans l’atmosphère en l’espace de seulement huit heures. L’hiver, cet événement régulier cause de violentes tempêtes de poussière sur le continent africain, mais comme la télédétection satellite par laser (Lidar) l’a depuis confirmé, ce ne sont là que les préparatifs d’un long voyage. Les scientifiques se sont aperçus que cette poussière traversait l’océan Atlantique, pour finalement se déposer sur les forêts humides de l’Amazonie17. Plus surprenant encore, ils ont découvert que la poussière joue un rôle critique dans l’écosystème amazonien. Sachant que les fortes pluies tropicales lessivent les nutriments du sol, ce colis d’antique vie marine parachutée du ciel fournit un surplus de nutriment à l’écosystème amazonien. La pénurie du désert entretient l’abondance des forêts tropicales – la poussière du Sahara est ainsi semée dans les jardins de l’Amazonie. Et certaines estimations suggèrent que cette infrastructure atmosphérique à long terme pourrait continuer à nourrir l’Amazonie pour encore un millénaire. Quand il n’y aura plus de poussière à transporter, cette chaîne logistique sans foi ni loi s’arrêtera purement et simplement de fonctionner.
Ces inégalités primordiales sont trop subtiles et trop fragmentées pour pouvoir être unifiées dans un discours englobant sur les planètes et les sphères, sans parler d’un discours sur « l’humanité », tant il est vrai que de telles catégories présupposent chaque fois quelque chose comme une perception, un intérêt et un enjeu communs18. Comme l’indiquent cependant les exemples ci-dessus, ce qui est commun se définit par une commensurabilité partagée. En dehors de cet espace-là subsistent néanmoins des différences que l’on ne peut pas aisément rendre commensurables. Le seuil qui sépare le commensurable de l’incommensurable est un lieu de luttes, une frontière qui est de plus en plus modelée par la technoscience, armée de ses capacités de calcul et mesure. Cette zone frontière du calculable peut s’avérer extrêmement violente, éradiquant des valeurs et des distinctions préexistantes – une tension qui a toujours été au cœur des luttes de décolonisation. Mais il s’agit aussi d’une dimension vitale pour la construction de communautés fondées sur un travail d’enquête partagée, notamment les communautés scientifiques.
Edmond Locard, grande figure de la science forensique, partait du principe que tout contact laisse une trace. Il s’agissait d’une théorie des causes et des effets fondée sur les résidus matériels. Une scène de crime se résumait à un territoire dont les limites et l’histoire étaient marquées par les traces de ces contacts. Lorsqu’il s’agit en revanche du changement climatique et des violences environnementales, le contact s’éloigne de ses traces ; il est emporté par les courants océaniques et se perd dans l’atmosphère. On peut bien s’efforcer de faire ce travail de reconnexion des causes et des effets à partir des preuves qui gisent encore dans les carottes glaciaires, ou d’après les prévisions de températures océaniques que fourniront de nouvelles modélisations climatiques. Mais tout cela ne sera que de peu de poids pour les partisans de la justice environnementale, tant qu’on n’aura pas construit des institutions sensibilisées à ce type de preuves et à leur puissance de résonances globales. Les institutions actuellement en charge des négociations sur le climat, telle la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) n’ont pas réellement pour objet les températures ; elles se chicanent plutôt sur des questions de PIB, avec l’objectif pour chaque État d’obtenir pour lui-même une plus grande part d’émissions carbone.
Dès lors, peut-on légitimement dire, comme le suggérait Lumumba Di-Aping, qu’aujourd’hui, c’est le ciel lui-même que l’on colonise ? Et, avant cela, en quel sens peut-on parler d’une colonisation de l’atmosphère ? Il est clair que l’on peut être exproprié d’une terre. Mais comment s’y prend-on pour calculer puis privatiser, subdiviser, marchandiser et exploiter une atmosphère ? Outre l’atmosphère, comment fera-t-on pour exproprier les liens sociaux, les cotes de solvabilité mesurées par les agences de notation, et même, pour finir, l’estime de soi ? Si cela semble trop difficile à imaginer, essayons simplement de nous rappeler ce navire qui était à l’approche sur le frontispice de Bacon, et demandons-nous si, depuis le rivage, il était plus difficile de s’imaginer, pour celles et ceux qui s’apprêtaient à voir le bateau débarquer, à quoi allait pouvoir ressembler l’expropriation des terres.
- « En ce temps-là il restait beaucoup d’espaces blancs sur la terre, et quand j’en voyais un d’aspect assez prometteur sur la carte (mais ils le sont tous), je mettais le doigt dessus et je disais, “Quand je serai grand j’irai là”. » Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres, 1899 ; éd. GF-Flammarion, Paris, 1989, p. 91 (NdT). ↩
- « Il est important de noter que les cartographes comme d’Anville ont significativement réduit non seulement la quantité de topographie spéculative sur la carte, mais aussi les informations ethnographiques avec lesquelles les cartographes précédents avaient rempli les espaces intérieurs de l’Afrique, comme par exemple les noms des groupes tribaux. La carte qui attire le jeune Marlow est le produit d’un bouleversement épistémologique : purgée d’un hypothétique et provisoire recensement de population, elle laisse apparaître des vides aussi manifestes qu’attirants dans la connaissance de l’Amérique du Sud, de l’Afrique et de l’Australie. », Alfred Hiatt « The blank Spaces on Earth », The Yale Journal of Criticism, ol. 15, no 2, 2002, pp. 223-250. ↩
- AEC, « Avant l’ère commune » : Équivalent religieusement neutre de la datation avant ou après Jésus-Christ (NdT). ↩
- Simon L. Lewis et Mark A. Maslin, « Defining the Anthropocene », Nature, no 519, 2015. ↩
- Voir Charles C. Mann, 1491 : New Revelations of the Americas Before Columbus, New York Vintage Books, 2006 ; Willima M. Denevan, The Native Population of the Americas in 1492, Madison, University of Wiscounsin Press, 1992. ↩
- Étude de la succession des dépôts sédimentaires (NdT). ↩
- De fait, il y a quelques mois à peine, un article scientifique a abouti à la même conclusion, mais en partant d’autres prémices. En examinant les sédiments de lacs au Pérou et en Bolivie, des scientifiques ont découvert des dépôts de métaux concordants avec les produits chimiques utilisés pendant l’industrialisation minière. De quoi rappeler que c’est à partir d’ici, au cœur des mines du Cerro Rico de Potosì, sommet andin de Bolivie, qu’une rivière d’argent coulait droit vers l’Espagne. Chiara Uglietti et al., « Widespread pollution of the South american atmosphere predates the industrial revolution by 240 y. », Proceedings of the National Academy of Science, PNAS, no 112, 2015. ↩
- Simon Hales et al., Quantitative Risk Assessment of the effects of climate change on selected causes of death, 2030s and 2050s, OMS, 2014. ↩
- À peine 15 mois plus tôt, en juillet 2008, le procureur général de la Cour pénale internationale, Luis Moreno Ocampo, avait fait une déclaration similaire, bien que plus familière, quand il avait délivré un mandat d’arrêt à l’encontre du président soudanais Omar al-Bashir pour son rôle dans les violences commises au Darfour. Une partie des médias avaient alors essayé de dénier toute légitimité à Di-Aping en tant que porte-parole, en vertu de son origine soudanaise. Or ne pourrait-on pas considérer que c’est justement sa connaissance intime des événements dans une partie du monde si affectée par le colonialisme avec ses conséquences environnementales qui donne à ses déclarations non seulement une légitimité, mais une viscérale charge de réalité ? ↩
- Voir J.M. Propsero et al. « The Atmospheric aerosol System : An Overview », Review of Geophysics and Space Physics, vol. 21, no 7, 1983 ; S.K. Satheesh et K. Kirshna Moorty « Radiative effects of natural aerosols : A Review », Atmospheric Environment, Vol. 39, 2005. ↩
- Leon D. Rotsayn et Ulrike Lohman, « Tropical Rainfall Trends and the Indirect Aerosol Effect », Journal of Climate, Vol. 15, 2002. ↩
- L’adjectif anglais « forensic » n’a pas de bon équivalent en Français. Nous optons ici pour un néologisme. Au sens étroit, le terme « forensics » se réfère à la médecine légale : une expertise scientifique et technique mobilisée pour l’établissement des preuves judiciaires. Mais le courant novateur de la « forensic architecture » auquel participent notamment Adrian Lahoud et Eyal Weizman au Goldsmith College de Londres propose de reprendre cette notion en un sens plus militant pour désigner une forme de recherche et d’action visant à « détecter, représenter et critiquer les abus de pouvoir émanant d’États et d’entreprises dans des contextes touchant à la lutte politique, au conflit armé et au changement climatique ». Voir le site internet http://www.forensic-architecture.org/ et l’ouvrage collectif Forensis, The Architecture of Public Truth, Sternberg Press, 2014, (NdT). ↩
- L’assombrissement global ou obscurcissement planétaire (global dimming) est une réduction graduelle, depuis le début des années 1950, de l’intensité lumineuse de la lumière diurne qui atteint la surface terrestre. Cet effet a été mis en évidence, entre autres par Gerry Stanhill, un chercheur anglais installé en Israël, qui a comparé l’intensité des rayonnements solaires depuis les années 1950 jusqu’aux années 1980. L’assombrissement global crée un effet refroidissant qui a peut-être amené les scientifiques à sous-estimer l’effet de serre sur le réchauffement climatique (NdT ; Wikipedia). ↩
- C.S Zerefos et al., « Atmospheric effects of volcanic eruptions as seen by famous artists and depicted in their paintings », Atmospheric Chemistry and Physics, vol. 7, 2007. ↩
- Voir Adrian Lahoud, “Floating Bodies” in Forensis : The Architecture of Public Truth, éd.Eyal Weizman & Anselm Franke (Berlin : Sternberg Press, 2014). ↩
- Époque géologique s’étendant sur les 10 000 dernières années (NdT). ↩
- Richard Washington et Martin C. Todd « Atmospheric controls on mineral dust emission from the Bodélé Depression, Chad : The role of the low level jet » Geophysical Research Letters, vol. 32, no 17 (2005). Voir aussi I. Tegen et al., « Modelling soil dust aerosol in the Bodélé depression during the BoDEx campaign » Atmospheric Chemistry and Physics Discussions, no 6, 2006 ; Y. Ben Ami et al., « Transport of North African Dust from the Bodélé Depression to the Amazon Basin : A Case Study » Atmospheric Chemistry and Physics Discussions, no 10, 2011 ; C. S. Bristow et al., « Fertilizing the Amazon and equatorial Atlantic with West African dust » Geophysical Research Letters, vol. 37, no 14, 2010. ↩
- Voir Adrian Lahoud, « The Bodélé Declaration », dans Textures of the Anthropocene : Grain Vapor Ray, éd. Katrin Klingan et al., Berlin, Revolver Publishing, 2014 ; Cambridge and London, The MIT Press, 2015. ↩