Octobre 2005 : le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy se rend sur la Dalle d’Argenteuil et, sous les projectiles des habitant-e-s, crie à qui veut l’entendre : « Vous en avez assez de cette bande de racailles, hé bien, on va vous en débarrasser. » Dix ans après, la nuit du 14 Juillet 2015, près de cette même dalle d’Argenteuil, Amine joue dans son quartier et reçoit un tir de Flash-Ball dans le testicule.

Cette bavure structurelle a poussé le Défenseur des Droits à recommander l’abandon de certaines armes de la police.
Réponse sous forme de mise au point de l’Assemblée des blessées, des familles et des Collectifs contre les violences policières.

 

Lettre ouverte au Défenseur des Droits

À la suite du rapport de la Commission d’Enquête Parlementaire concernant le maintien de l’ordre et de l’Inspection Général des Services, vous préconisez l’abandon du Flash-Ball super-pro®.

Voici comment dans votre rapport vous qualifiez les démarches de l’Assemblée des blessés, des familles, des collectifs contre les violences policières :

« Le maintien du Flash-Ball super-pro® en dotation est en effet une source potentielle de tensions et contestations de l’action des forces de sécurité, ainsi que le démontre l’émergence d’actions communes, en justice, comme de sensibilisation de la société sur les caractéristiques de cette arme, à l’initiative de victimes de tirs de Flash-Ball super-pro®. »

Sachez, Monsieur le défenseur des droits, qu’au sein de l’Assemblée des Blessées, autant de personnes ont été blessées et mutilées par des tirs de Flash-Ball super-pro® que par des tirs de Lanceurs de Balles de Défense 40×46 (LBD 40).

Aussi la manière dont vous qualifiez les membres de notre assemblée est fausse. Ceci est regrettable car nous avons toujours pris le soin de condamner ces deux armes. Si vous n’avez jamais pris le temps de lire nos interventions et nos témoignages, c’est fort dommageable compte tenu de notre statut de victimes et de votre statut de Défenseur des Droits. Si vous travestissez la vérité sans aucun égard pour le combat que nous menons, c’est simplement détestable.

Mais peut-être faut-il rappeler au plus grand nombre les caractéristiques de ces deux armes car les institutions policières et les médias alimentent volontairement un flou à leur propos. L’une et l’autre sont des armes à feu projetant des projectiles en caoutchouc.

• Le Flash-Ball super-pro® est le premier arrivé sur le marché. C’est une arme de poing, utilisée par la police depuis 1995. Elle est particulièrement imprécise. C’est pour cette raison que vous demandez sa suspension puis son retrait. Depuis quelques années déjà, cette arme est abandonnée progressivement au profit du LBD 40.

• Le LBD 40 est une arme d’épaule de type fusil, doté d’un viseur militaire et d’un canon rayé. Plus précis et plus puissant, il fait officiellement partie des « armes à feu à usage militaire » (catégorie A). Aujourd’hui, ce second modèle est le plus répandu et engendre le plus de blessures graves dans les périphéries des métropoles comme dans les manifestations. À Argenteuil, le jeune garçon grièvement blessé a très certainement été touché par un tir de LBD 40.

Alors monsieur, le Défenseur des Droits, si nous souscrivons au moratoire sur le Flash-Ball super-pro® et si comme vous, nous demandons qu’il soit interdit, nous ne comprenons pas pourquoi une telle omission concernant le LBD 40, allant jusqu’au travestissement de la vérité, de ce que nous sommes, de ce qui nous a blessé.

Disons les choses comme elles sont, en l’état, vous ne demandez pas l’interdiction du Flash-Ball mais son remplacement par un autre plus puissant et précis qui est la cause de très nombreuses mutilations.

On se souvient comment suite à la mort de Rémi Fraisse, le ministère de l’Intérieur avait, dans une magistrale opération de communication, suspendu un seul type de grenade en maintenant l’emploi de toute une gamme tout aussi dangereuse.

Si vous obtenez l’interdiction du Flash-Ball super-pro® seulement, il ne faudra pas attendre longtemps pour que de nouvelles mutilations viennent défrayer la chronique.

Pour cela, nous demandons que le moratoire concerne aussi le LBD 40 de manière à obtenir à terme l’interdiction de tous les types de Flash-Ball.

En revanche, nous saluons fortement votre analyse et critique du règlement du 2 septembre 2014 concernant l’usage du Flash-Ball super-pro® et du LBD 40 qui comme vous le démontrez, vise explicitement à disculper les policiers tireurs. Toutes les interdictions formelles de tirer au visage et dans les parties génitales ont disparu, la distance de tir minimum en dessous de laquelle il est interdit de tirer, aussi. Ce qui constitue un très grave recul.

C’est la réponse à nos revendications, à nos initiatives judiciaires et politiques : un tour de passe-passe. Si ces nouvelles dispositions n’étaient pas simplement meurtrières, on rirait de leur petitesse.

Pour toutes ces raisons, nous continuerons de réclamer l’arrêt de l’utilisation d’armes de guerre sur la population civile.

Nota : Flash-Ball est une marque déposée. Par métonymie, il désigne aujourd’hui dans le vocabulaire courant, tous les types de lanceurs de balles en caoutchouc.

23 juillet 2105

Contact : assemblee.des.blesses@gmail.com

 

arme

 

NB : L’assemblée appelle à se rendre au rassemblement samedi 25 juillet à 14h à Argenteuil, devant la sous-préfecture, en soutien au jeune garçon blessé par un tir de LBD 40.

Argenteuil25juillet15

 

Pour aller plus loin :

Se défendre de la police / collectif 8 juillet

Un bilan des violences policières du 14 juillet 2015 / Paris-luttes.infos

Bavures policières mortelles : trente ans de quasi impunité ? / Basta !

« On voyait la justice plus grande », Entretien avec Ramata Dieng, sœur de Lamine Dieng, mort dans un fourgon de police / Jef Klak

L’Assemblée des blessés à l’Assemblée nationale. L’intervention eut lieu le jeudi 19 mars 2015, lors de la Commission d’enquête parlementaire sur le maintien de l’ordre.

La transcription de l’intervention ici.