Traduction de l’anglais (É-U) : Unai Aranceta et Ferdinand Cazalis
Texte original : « Chase those crazy baldheads out of town », Commune Magazine, 17 janvier 2020.
Le 7 février 1986, après trois ans de luttes populaires, Haïti mettait enfin un terme à la dynastie des Duvaliers. Poussé à l’exil, le tyran Jean-Claude Duvalier laissait le pays avec une dette de 844 millions de dollars envers des institutions internationales. Une histoire sans fin : en 2019, le président Jovenel Moïse et des élites du pays furent accusées d’avoir détourné quelque deux milliards d’aides internationales. Aujourd’hui encore, le peuple prend la rue et multiplie les blocages économiques. Entre catastrophes naturelles, misère institutionnalisée et condescendance de la communauté internationale, une jeune génération de révolté·es s’organise pour reprendre en main son destin politique.
Le 7 février 2019, des centaines d’Haïtien·nes ont pris les rues de Port-au-Prince, de Cap-Haïtien, des Gonaïves et de Jacmel pour demander des poursuites judiciaires à l’encontre de membres du gouvernement et des élites économiques ayant détourné deux milliards de dollars du programme PetroCaribe, un accord commercial préférentiel entre le Venezuela et plusieurs pays membres caribéens conçu pour subventionner le développement du pays et, après le tremblement de terre de 2010, sa reconstruction.
Agitant des branches d’arbres, les manifestant·es ont marché au son des groupes de rara 1 en chantant : « Jovenel ! Nous sommes le 7 février et tu dois partir ! » Une date importante pour les Haïtien·nes, car elle marque l’anniversaire du renversement de la dictature de la famille Duvalier en 1986. Au fil d’une série de manifestations de masse entamée depuis plus d’un an, les Haïtien·nes ont appelé à la destitution du président Jovenel Moïse, leader du Parti Haïtien Tèt Kale (Parti haïtien des têtes chauves, ou PHTK).
Le nom de Moïse a été cité dans un rapport sur la corruption produit par l’autorité financière haïtienne, la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif. En tant qu’ancien PDG de l’entreprise d’exportation de bananes Agitrans S.A., Moïse a été accusé de détourner l’argent destiné aux projets de développement à Haïti. L’entreprise était déjà impopulaire auprès de certain·es Haïtien·nes, car elle avait exproprié des paysan·es dans le but de créer la première zone agricole destinée à l’export dans le nord-est du pays, malgré les protestations de plusieurs organisations locales.
Sur les pancartes, on peut lire : « Marre de la faim ! À bas la vie trop chère ! » ; « Nous sommes fatigué·es de Jovenel » ; « L’État gaspilleur et son système doivent disparaître ! » ; « Où est l’argent de PetroCaribe ? Nous sommes fatigué·es de demander ! » ; « Ligotez les pilleurs de PetroCaribe ! ». Un dissident a même brûlé un drapeau étatsunien et appelé Vladimir Poutine à reprendre en main la gestion du pays.
Dans la capitale Port-au-Prince, les manifestant·es ont brûlé pneus et voitures, puis érigé des barricades dans le centre-ville. Les blocages ont paralysé le plus grand port d’Haïti ainsi que les principaux points de distribution. Ils ont interrompu le transport et le commerce international transitant par la capitale vers le reste du pays. Le 7 février 2019, le blocage national avait été déclaré : peyi lòk – grève générale. Certain·es ont incendié des stations-service pendant que d’autres s’affairaient dans les magasins à la recherche de nourriture et de marchandises.
Toute activité commerciale a été interrompue pendant les dix jours qui ont suivi. Des dizaines de rebelles désarmé·es ont été tué·es par la police et les autres forces de sécurité qui tentaient de reprendre les rues. Le Réseau national de défense des droits humains a signalé que quarante personnes avaient été tuées et quatre-vingt-deux blessées.
Le 9 juin, des centaines de personnes ont de nouveau pris les rues de Port-au-Prince, de Saint-Marc, des Gonaïves, de Cap-Haïtien, de Miragoâne, de Jacmel, de Caye et de Jérémie pour exiger la démission de Moïse. Dans les semaines qui ont suivi, c’est par centaines qu’ils et elles ont marché à Port-au-Prince, depuis l’ambassade française jusqu’à celle des États-Unis ; puis autour du Palais national. Les manifestant·es ont rendu hommage à Rospide Pétion, journaliste radio assassiné après avoir ouvertement critiqué la corruption gouvernementale.
Avec les pénuries de gaz persistantes et le silence obstiné du président, une autre vague de protestations a commencé le 16 septembre, menant à un nouveau peyi lòk. Dans les mois qui ont suivi, des barricades ont fréquemment été érigées dans les principales villes haïtiennes.
Dès février, dans un communiqué publié sur le site internet de l’ambassade étatsunienne, le Core Group 2 applaudissait le « professionnalisme dont a fait preuve la Police nationale d’Haïti », tout en déplorant « les pertes en vies humaines et les dégâts matériels occasionnés par les inacceptables actes de violence » des manifestant·es.
Le président Moïse leur a emboîté le pas le 14 février avec son propre message à la nation, implorant les Haïtien·nes d’attendre patiemment les nouveaux développements de l’affaire plutôt que de manifester, de continuer la grève et de créer des émeutes. Mettant en garde contre la guerre civile, il a accusé les partis d’opposition de marcher côte à côte avec dealers et gangsters qui « violent les jeunes filles, assassinent les jeunes hommes, et brûlent les officiers de police ». Se revendiquant d’une même « origine sociale » que les masses, le président a dénoncé leur victimisation par « le système » et a souligné sa fierté envers la police. Moïse a terminé son discours par un appel à Dieu, invitant l’opposition à dialoguer avec lui, et remerciant la communauté internationale pour son soutien dans le « domaine de la sécurité ».
Petrolutte
Trois coalitions majeures étaient derrière la marche du 7 février : les partis politiques d’opposition ; la Konbit Òganizasyon Politik, Sendikal ak Popilè (Fédération des organisations politiques, syndicales et populaires) – qui se compose de diverses organisations de base, de syndicats et d’intellectuel·les – et les « PetroChallengers », un réseau de jeunes Haïtien·nes utilisant les réseaux sociaux pour attirer l’attention sur le scandale PetroCaribe. Il ne s’agit évidemment pas d’une liste exhaustive des forces d’organisations impliquées dans le mouvement. Néanmoins, pour un grand nombre de factions politiques – dont certaines protestaient contre l’État depuis plus de dix ans –, le scandale de PetroCaribe pourrait devenir un point de convergence.
Mis en place par le Venezuela en juin 2005, PetroCaribe était une tentative visant à concurrencer l’hégémonie politique et économique des États-Unis sur les Amériques. En tant qu’accord de coopération énergétique, PetroCaribe devait fournir des moyens de paiement préférentiels sur le pétrole et ses produits dérivés pour certains pays des Caraïbes et d’Amérique du Sud. Contrairement à la Banque mondiale ou au FMI, le Venezuela n’impose pas aux pays bénéficiant de ses prêts d’adopter un plan d’austérité. Au contraire, l’accord, qui inclut des termes favorables tels que le différé des paiements sur vingt-cinq ans à des taux d’intérêt pouvant descendre jusqu’à 1 %, aurait permis à Haïti d’investir les sommes économisées dans des programmes sociaux et dans des infrastructures fondamentales comme les routes et les hôpitaux.
Haïti a rejoint PetroCaribe en 2007, sous la présidence de René Préval, alors soumis à la pression populaire. Le pays a depuis emprunté environ 4,2 milliards de dollars à destination du développement, mais aucun projet n’a encore vu le jour. Une série de ponts toujours en construction, de routes partiellement achevées et des stades en devenir constellent le paysage du pays. Aucun hôpital, école, logement, système d’égouts ou de traitement des déchets n’a été construit, même après le tremblement de terre de 2010. S’ils avaient été utilisés pour financer des programmes sociaux ou subventionner les produits de première nécessité, qu’auraient pu signifier ces fonds pour la vie quotidienne des Haïtien·nes, et particulièrement des plus vulnérables ?
Près de 60 % des Haïtien·nes vivent sous le seuil de pauvreté, avec moins de 2,41 $ par jour. Le pays affiche un taux de chômage de 40 % et un salaire minimum qui varie de 2,54 $ à 9,45 $ par jour, un taux de mortalité maternelle de 529 mortes pour 100 000 naissances, une mortalité infantile de 59 ‰, et une espérance de vie de 64 ans. Il y a moins d’un lit d’hôpital pour cent personnes. Sur les 11 millions d’habitant·es que compte le pays, 7,4 millions n’ont pas accès à l’électricité. Dans le Global Climate Risk Index de 2018, Haïti est classé parmi les pays les plus susceptibles de subir les conséquences d’événements météorologiques extrêmes liés au changement climatique.
La majorité de la population haïtienne fait office de surplus de main-d’œuvre, en migrant de façon temporaire ou permanente à Port-au-Prince, en République dominicaine, aux Bahamas, à Puerto Rico, à Miami, à New York, à Montréal, au Brésil ou au Chili pour travailler dans les usines textiles, les plantations de cannes à sucre, la restauration rapide ou encore comme employé·es domestiques. Deux personnes sur mille quittent le pays. Ces travailleurs et travailleuses transnationales, aux statuts légaux variés, envoient deux milliards de dollars par an à leurs proches resté·es à Haïti. Des transferts de fonds significatifs tant pour le quotidien des Haïtien·nes que pour l’économie du pays dans son ensemble – le PIB d’Haïti ne s’élevant qu’à huit milliards de dollars.
La ruée vers Haïti
En 2004, le président Jean-Bertrand Aristide a été forcé à l’exil après un coup d’État. Théologien de la libération, il avait été le premier président haïtien démocratiquement élu en 1991, après des décennies de dictature de la dynastie Duvalier. Arrêté par un coup d’État militaire après moins d’un an d’exercice, Aristide était retourné au pouvoir en 1994 avec l’aide de l’armée américaine, avant d’être réélu en 2001.
À la suite du coup de 2004, 5 000 soldats de la Mission de stabilisation des Nations unies (Minustah), sous commandement brésilien, ont débarqué sur l’île. Les forces de la Minustah ont surveillé et assassiné des habitant·es des quartiers populaires haïtiens, où des soutiens armés du président destitué avaient organisé une résistance. C’est dans ce contexte que le CoreGroup, alliance de pouvoirs occidentaux ayant des intérêts dans le façonnage des politiques intérieures et extérieures haïtiennes, a été formé.
En 2011, le Core Group aide le PHTK à porter au pouvoir le président Michel Martelly, chanteur populaire néoduvaliériste. Martelly déclare Haïti « ouverte au business » – tout spécialement pour les entreprises extractivistes ou d’exportation, orientées vers l’agrobusiness, le tourisme, les mines et le textile, au sein de zones franches. Se décrivant lui-même comme un « bandit légal », Martelly amende la constitution de 1987, permettant ainsi la double nationalité et l’accaparement des terres par des propriétaires étranger⋅es. Martelly organise aussi le retour au pays de l’ancien dictateur Jean-Claude Duvalier, après vingt-cinq ans d’exil.
Depuis l’élection de Martelly, une taxe nationale collecte 1,5 $ sur chaque arrivée d’argent via Western union ou MoneyGram. Aucun mot de sa part au sujet de la déportation vers la République dominicaine de plus de 300 000 descendant·es dominicain·es ou haïtien·nes depuis 2013, dont 10 000 enfants isolé·es. Au lendemain de son élection, Martelly met en pièces le Conseil provisoire des élections, puis dissout la chambre législative avant de se mettre à gouverner par décrets. C’est sous ce gouvernement que deux tiers des fonds issus du PetroCaribe ont été blanchis.
Nouveaux fronts de résistance
Dans un tel climat, le candidat suivant du PTHK, Moïse, lui-même sous le coup d’une enquête judiciaire pour blanchiment, n’échappe pas à de nombreuses suspicions lors de son élection en 2015. Les partis d’opposition rejettent les résultats, soutenus par des milliers de manifestant·es dans les rues. Un gouvernement d’intérim est mis en place pour passer la crise. Le sénateur Youri Latortue forme une commission d’enquête au sujet de la gestion des fonds de PetroCaribe. En août 2016, de hauts dignitaires sont ainsi poursuivis, comme le Premier ministre de Martelly, Laurent Lamothe. En 2017, une deuxième commission produit un rapport de 647 pages détaillant les conclusions des premières découvertes. Ironie supplémentaire : cette commission anticorruption est dirigée par le sénateur Latortue, l’un des participants du coup d’État contre Aristide, désormais accusé d’avoir mené des escadrons de la mort pendant la junte militaire – sans compter les révélations de Wikileaks, montrant l’implication de Latortue dans diverses affaires de trafic de drogue et d’enlèvements.
Malgré tout cela, le président Moïse a réussi à s’accrocher au pouvoir. Il a hérité d’un pays fracturé et a tenté depuis de concentrer toutes les formes de pouvoir autour de sa personne, sous le regard protecteur de la communauté internationale. En octobre 2017, il a accepté de prolonger le mandat de l’ONU, et c’est alors que la Mission des Nations unies pour l’appui à la justice en Haïti (Minujusth) a remplacé la Minustah. La même année, Moïse a commencé à remettre sur pied les Forces armées haïtiennes, qui avaient été abolies par Aristide.
Utilisant le tremblement de terre comme une brèche, un mouvement de plusieurs organisations a amorcé en 2010 une nouvelle vague de résistance au néolibéralisme et à l’occupation. En novembre 2011, le mouvement ouvrier Batay Ouvriye a organisé une conférence internationale dans la ville de Cap-Haïtien, avec des groupes venus de Trinité-et-Tobago, de République dominicaine, de Guadeloupe, de Martinique, de France et des États-Unis. L’événement a culminé en une marche en opposition à l’occupation des Nations unies.
En octobre 2013, la fédération socialiste et féministe Solidarite Fanm Ayisyen a tenu des sessions parlementaires symboliques pour dénoncer l’absence de femmes dans les organes du gouvernement, la collaboration de l’État avec l’ONU, le dévoiement du ministère à la Condition féminine et aux Droits des femmes, ainsi que la pure et simple destruction de la production nationale.
Depuis 2013, des organisations comme le Mouvement de liberté et d’égalité des Haïtien⋅nes pour la fraternité, reposant sur les forces actives du quartier populaire de Belair, ont coordonné des manifestations contre les fraudes électorales, la corruption et l’occupation.
En juillet 2018, Moïse a ordonné l’expulsion des Haïtien·nes qui occupaient les terres avoisinant sa résidence personnelle – parcelles réappropriées par le peuple il y a plus d’un siècle. Le même mois, le président a annoncé l’augmentation du prix du gaz, en parfaite cohérence avec sa décision de se retirer de l’accord PetroCaribe, à la suite des sanctions étatsuniennes contre le Venezuela. Les Haïtiennes ont protesté contre une telle injustice par trois jours de grève générale à travers le pays.
Le mouvement qui en est sorti, surnommé le « Challenge PetroCaribe », avec ses blocages et ses marches, est la dernière manifestation en date d’une longue séquence de résistances contre le néolibéralisme et l’émergence d’un autoritarisme.
Challenge PetroCaribe
Challenge PetroCaribe a été lancé à la mi-août 2018, quand des artistes d’Haïti ou issu·es de la diaspora ont lancé le hashtag #KotKòbPetroCaribeA (« Où est l’argent de PetroCaribe ? ») sur les réseaux sociaux. Des manifestations, bien réelles, ont été organisées quelques jours après cette « campagne virtuelle ». La mobilisation a fait le tour des Facebook, WhatsApp, Twitter ou Instagram, grâce à des memes, des clips d’info et des articles de presse. 60 % des Haïtiennes étant des personnes de 15 à 54 ans avec un bon bagage culturel et 50 % de la population vivant dans les villes du pays, avec 6,5 millions de gens ayant accès à des smartphones, les médias sociaux sont devenus un outil pratique pour l’organisation populaire.
En octobre 2017, pour l’anniversaire de la mort du père fondateur d’Haïti, Jean-Jacques Desalines, la deuxième marche du mouvement PetroCaribe a rassemblé plus de 100 000 personnes à travers le pays. Des manifestations ont eu lieu à Port-au-Prince, à Cap-Haïtien, aux Gonaïves, à Jacmel, mais aussi à Miami, à New York, à Montréal ou à Paris. À New York, le comité de mobilisation contre la dictature en Haïti (Komokoda) a intensifié ses manifestations hebdomadaires devant le consulat haïtien ou aux abords des salles où Martelly avait pour habitude de se donner en spectacle. Plus récemment, le mouvement de solidarité Québec-Haïti a réussi son opération de lobbying auprès de la maire de Montréal Valérie Plante, qui a fait interdire l’entrée de Martelly et de sa clique au Canada.
Les manifestations anticorruption en Haïti sont généralement menées par les organisations de la classe ouvrière traditionnelle. Mais le paysage politique actuel est plus complexe, avec l’émergence de représentant⋅es de la classe moyenne. Des personnes qui ne rentrent dans la vie active que sur la fin de leur vingtaine ou de leur trentaine, avec des années d’université derrière elles, et une partie ayant étudié à l’étranger : en France, au Canada ou aux États-Unis. La génération des « PetroCaribe Challengers » a grandi sous la terreur des groupes paramilitaires qui protégeaient la junte responsable de la destitution d’Aristide en 1991. Au mieux, ils et elles ont une position ambivalente au sujet de l’ancien leader qui a mené des réformes néolibérales depuis son retour d’exil. Cette génération a baigné dans des livres d’histoire peu regardants sur les réalités de la dictature de Duvalier et de la guerre froide en Haïti. Ils et elles ont grandi en écoutant et en dansant sur le King of Konpa de Martelly (le Konpa est un genre de musique haïtienne né dans les années 1970. Alors que la tradition musicale tournait surtout des thèmes de l’amour et du sexe, Martelly a été le premier à y insérer des sujets politiques). Ils et elles lui ont sûrement fait confiance pour tenir la promesse faite lors de son discours inaugural de 2011, d’aider à l’amélioration des conditions de la classe moyenne, qu’il appelait « le moteur économique du pays ».
Les femmes sont clairement au centre du mouvement PetroCaribe. Beaucoup de Petro Challengers sont membres d’organisations préexistantes, notamment le Sèk Gramsci, mais nombre d’autres étaient affilié·es au Ayiti Nou Vle A, le groupe ayant initié la campagne en ligne d’août 2018.
Les PetroChallengers se sont finalement uni·es en décembre 2018 sous le collectif Nou Pap Dòmi et se réunissent souvent au Yanvalou, le café LGBT du centre de Port-au-Prince, près de la Cour supérieure des comptes. Pour se distinguer de la machine politicarde, ils et elles se définissent comme des « citoyen·nes engagé·es » impliqué·es dans un mouvement social plutôt que politique.
Leurs éléments de communication, principalement des clips d’info ou des affiches représentant les infrastructures éternellement en chantier, utilisent principalement la langue Kreyòl, commune à tou·tes les Haïtien·nes, et sont partagés sur les réseaux sociaux pour rassembler le peuple à travers l’île. Les challengers se réfèrent aux moments forts de l’histoire pour mettre en place leurs actions, qui consistent principalement en marches et en sit-ins. Par exemple, un sit-in qui s’est déroulé devant la Cour supérieure des comptes a eu lieu un 26 avril, jour anniversaire du massacre sanglant commis en 1963 par les hommes de main de Tonton Duvalier.
Les demandes des PetroChallengers sont claires : une enquête sérieuse sur la manière dont ont été dépensés les fonds pour la solidarité du Venezuela et évidemment des poursuites judiciaires, des procès et des emprisonnements pour les coupables, c’est-à-dire toute la bande des responsables gouvernementaux et des élites financières.
Plus profondément, ils et elles cherchent à attirer l’attention sur la corruption opaque qui soutient l’État haïtien, pour ainsi intensifier les contradictions du système. Comme le rappelle l’anthropologue haïtien-américain Michel-Rolph Trouillot, l’État haïtien n’est ni affaibli ni détourné de sa nature. Il fonctionne exactement comme prévu : il chapeaute les contradictions de l’accumulation capitaliste pour certain·es, et il organise la marginalisation, la répression et la mort prématurée de la plupart.
- Le rara est une forme musicale originaire de Haïti jouée lors de défilés de rue et dont les instruments principaux sont les vaksen (trompettes en bambou), tambours et maracas. ndt ↩
- Le Core Group est composé de la représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies, des ambassadeurs d’Allemagne, du Brésil, du Canada, d’Espagne, de la France, de l’Union européenne, de l’ambassadrice des États-Unis et du représentant spécial de l’Organisation des États américains. ndt ↩