Propos recueillis par Mathieu Rivat, Émilie Lebarbier, Noémi Aubry, Hélène Pujol, Bruno Thomé et Julia Burtin Zortea
Photos d’Éric Thomé, Bruno Thomé et Hélène Pujol
Objet transitionnel pour la psychanalyse ou nid à bactéries pour la médecine, peu importe. La parole est aux enfants. Hugo, Anna, Sara et Meïmouna nous racontent leurs doudous : tour à tour ami·e d’aventures imaginaires, confident·e des nuits parallèles et plus mieux encore…
Cet article est issu du deuxième numéro de Jef Klak, « Bout d’ficelle », encore disponible en librairie.
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Gros nounours
Hugo, 5 ans
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Comment s’appelle ton doudou ?
Gros nounours.
Il a des amis ?
Ah oui, j’ai une hotte entière de doudous. Il a plein d’amis. Dans le placard, il y en a un, c’est exactement le même au cas où je le perds ; ils viennent du même œuf. Il a des fils qui pendent, et des étoiles, tout dans le même ordre. Ils sont comme frères. Il s’appelle Copain.
Des fois, tu le prends à l’école ?
Des fois. Je le montre à mes copains et il faut qu’ils devinent comment il s’appelle. Ils n’ont encore jamais trouvé.
Tu lui racontes des secrets ?
Oui, je lui dis des secrets, comme ça [il se rapproche du doudou et lui murmure quelque chose dans le creux de son oreille]. Il n’y a que lui qui les entend, et ils ne sortent même pas par l’autre oreille. Il les garde en lui.
À quoi tu joues avec ton doudou ?
Il fait des puzzles, mais il ne joue jamais aux Lego. Surtout, je lui fais faire des cabrioles en l’air, hop là, et après, je le rattrape, hop là. Il tourne toujours en l’air, la tête en bas et les pieds en haut, mais jamais sur le côté.
Mais après une cabriole comme celle-là, tu crois qu’il se sent bien ?
Oui, il adore ça, il rebondit sur mes genoux, il fait comme le trampoline, il aime trop.
Quand est-ce que tu es avec ton doudou ?
Le soir, la nuit, des fois la journée dans la maison, quand je fais un temps calme. Je lui fais des câlins. J’aime bien dormir à côté de lui.
Quand tu pars en voyage, tu le prends aussi ? Tu vas où avec lui ?
Oui, toujours. Avec lui, j’ai été à Béziers, à Venelles, en Écosse, en Afrique, en Normandie.
Il aime bien ?
Oui, il aime bien, comme moi ; je lui apprends les voyages. Il a déjà pris l’avion, mais il n’a pas eu peur, parce qu’il est habitué, et moi aussi. Il aime bien le train, aussi.
Il est avec toi aussi quand tu fais des cauchemars ?
Oui, quand je le touche, ça me rassure ; quand je le touche, c’est sa peau que je sens, ça me dit que je suis dans le lit et pas dans le cauchemar, parce que des fois les cauchemars, c’est tellement vrai que je crois être dedans.
Il parle ton doudou ? Il te dit quoi ?
Beaucoup de choses, mais je ne sais pas exactement quoi.
Quand t’es pas là, il fait quoi ton doudou ?
Il joue, après il range et il va se coucher quand il est fatigué. Et aussi je lui donne à manger. Je lui amène les épluchures dans une assiette. Il y a des épluchures de pommes de terre, de carottes et les feuilles de poireaux ; les grandes feuilles vertes, il les mange.
Tu aurais envie de lui dire quoi à ton doudou maintenant ?
« Doudou, il faut que tu joues bien le soir, et que tu manges le midi », parce que le midi, je ne suis pas là, sauf quand je suis malade. Et quand on laisse la fenêtre ouverte, il peut aller manger les épluchures dans le compost, sinon c’est moi qui lui apporte le week-end. Quand il a très faim, je lui donne un sac entier.
Il a peur dans le noir ?
Non, il n’a pas peur. Comme moi.
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Argobert
Anna, 9 ans
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Quand est-ce que tu as rencontré Argobert ?
J’ai eu quatre doudous avant, mais je ne me rappelle plus.
Raconte-moi la première fois où tu as dormi avec lui…
C’était parce que j’avais perdu Paulo, mon doudou, et du coup j’ai pris Argobert pour la nuit. Et après, j’ai décidé de le garder.
Est-ce que tu l’as emmené à l’école ?
En maternelle, oui, parce qu’on pouvait. Après la cantine, on faisait la sieste, on avait le droit de dormir avec nos doudous. Quand je suis rentrée au CP, on n’avait plus le droit.
Comment tu as fait alors ?
Il y avait un petit bout de lui que je mettais dans ma poche et j’allais à l’école avec.
Tu fais quoi avec ton doudou ?
Quand on regarde un dessin animé, souvent, je le prends. Et aussi la nuit, quand je dors.
Comme Argobert est un peu cassé, le prochain doudou est déjà prévu. C’est une petite souris avec une capuche. Comment tu l’as choisie ?
Elle s’appelle Soussou. C’est Élisa qui me l’a donnée, et puis je sais pas, j’aime bien comment elle est.
Tu n’as jamais revu d’Argobert de la même espèce ?
Si. J’étais allée voir ma grand-mère à Toulouse. On est parties se promener et on est passées devant un magasin où il y avait plein de peluches qui ressemblaient beaucoup à Argobert.
Vous ne l’avez pas trouvé ?
On a trouvé une peluche qui ressemblait : c’était Argobert, mais en fille. Ensuite, on a montré Argobert au vendeur, et comme il était tout cassé, il n’a pas voulu qu’on reste dans la boutique. Il n’avait pas l’air très content de voir qu’une peluche qui ressemble beaucoup aux peluches qu’il a dans son magasin soit toute cassée.
Maintenant qu’Argobert cassé, pour toi, il est pareil que quand il était tout neuf ?
Non, parce qu’au début je l’aimais pas trop, ce n’était pas encore mon doudou préféré.
Là, il n’a plus du tout la même tête ?
Plus du tout. Et puis maintenant, il est en deux parties.
Tu le présentes à tes copains ?
Non. Quand c’est des amis qui sont dans la même école que moi, je n’ai pas trop envie, parce que j’ai peur qu’ils disent aux autres que j’ai encore un doudou.
Mais tu as des copines de ton âge qui ont encore des doudous ?
Quand c’est une fille qui est même un peu plus grande que moi et que je sais qu’elle a encore un doudou, je veux bien lui montrer.
Pour toi, Argobert, il te sert juste à t’endormir facilement ?
Non. Pas que ça. Je ne sais pas comment expliquer… En maternelle, je disais que c’était mon petit frère.
Tu n’as pas une histoire à nous raconter de toi et Argobert, quelque chose qui vous est arrivé à tous les deux ?
Quand je suis allée en Grèce, il n’était pas encore aussi abîmé que maintenant, je disais qu’il avait envie de se baigner, et du coup, je l’ai mis dans l’eau de la mer, et ensuite, il a mis trois jours à sécher.
Tu crois qu’il était en colère après ?
Oui, parce qu’il n’aimait pas être mouillé, mais je ne savais pas.
Tu le laves des fois ?
C’est mon papa qui veut tout le temps que je le lave. Pendant que je vais à l’école, je le cache dans la voiture, parce que j’aime pas quand il le lave. Et puis Argobert il n’aime pas tourner en rond dans la machine à laver.
Qui répare Argobert quand il est trop abîmé ?
C’est soit ma grand-mère du côté de mon papa, soit mon papa. J’aime bien quand on le répare, mais j’ai toujours peur que ce soit pas fini avant que j’aille me coucher.
Tu n’as pas une dernière histoire à raconter avec Argobert ?
Ah oui : une fois j’avais fait mes lacets et j’avais oublié de le reprendre. Au bout d’un moment, je me suis demandé où il était, et je me suis rappelé que je l’avais laissé là-bas : il était toujours là.
Tu l’as jamais reperdu ?
Une fois, j’avais demandé à Bruno de me le garder, j’étais rentré à la maison avec Maman, et j’avais oublié qu’il était dans le sac de Bruno, et du coup, j’ai dû m’endormir sans Argobert parce que Bruno, il était rentré après que je me sois couchée.
Et tu avais réussi à dormir ?
Mmh. Oui, mais c’était dur.
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Soussou, Bibika, Bobinnet, Bleu, Pêche, Tofi…
Sara, 9 ans et Meïmouna, 10 ans
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Qui a des souvenirs de doudou ?
Sara : Moi, j’ai deux doudous. Un, c’est un animal. Mais c’est Meïmouna qui me l’avait prêté, donc je l’avais volé, en fait. Il s’appelait…
Meïmouna : Soussou.
Sara : Parce que c’était une souris. Et puis l’autre, sa tête était comme une poupée, et son corps comme un doudou. Elle s’appelait Bibika.
Et maintenant, tu n’as plus ce doudou ?
Sara : Ben si. Mais je l’ai perdu. Enfin, je l’ai vu il y a cinq jours. Je ne le trouve plus.
Est-ce que tu as déjà vraiment perdu un doudou ?
Sara : Oui, j’étais triste au début, mais ensuite je me suis habituée. L’année dernière, je l’avais aussi perdu pendant longtemps. En fait, je le perds, et ensuite je le retrouve.
Et quand tu le retrouves, tu en fais quoi ?
Sara : Ben, je le prends. Pour dormir avec.
C’est que pour dormir ?
Sara : Oui. Quand j’ai peur. Mais maintenant, j’ai moins peur.
Tu avais peur de quoi ?
Sara : J’avais peur que la maison s’écroule. Et j’aime pas rester toute seule des fois. Et aussi, j’avais peur qu’il y ait le feu à la maison. Avec le doudou, j’avais moins peur. J’étais pas trop toute seule. [Baissant la voix] Parce que moi je pensais que le doudou, il était vivant. Et comme j’en avais deux, eh ben des fois, quand je faisais un câlin au premier, je croyais que l’autre il était jaloux.
Et toi Meïmouna ?
Meïmouna : Moi, à la base, j’avais 10 000 doudous. Mais je ne pouvais pas dormir avec mes trois doudous, parce qu’il n’y avait pas assez de place dans le lit, alors j’en choisissais un préféré. Et je me disais aussi, tiens, les autres, ils doivent être jaloux. Ils ont froid. Mais comment je fais ? Alors à un moment, j’en ai pris que deux.
Ils s’appelaient comment ?
Meïmouna : J’avais une marmotte qui s’appelait des fois Bleu parce qu’elle avait un bonnet bleu, ou Pêche parce qu’elle était douce. La marmotte, c’était mon grand-père qui me l’avait donnée. L’autre, le lapin, il s’appelait Bobinnet. Et le troisième, je m’en souviens plus, parce que je l’ai abandonné. Bobinnet, je l’avais depuis toute petite, et vu que la personne qui me l’a donné était morte, eh ben je l’ai gardé.
Sara : C’était qui ?
Meïmouna : Tatie. Il n’était pas pareil que l’autre doudou. Et puis ensuite, je ne l’ai plus eu avec moi. Et je me suis dit, si ça ne me fait plus autant de peine qu’avant, c’est que je n’ai plus besoin de doudou. C’était quand j’avais 9 ans 1/2. Maintenant, ils sont quelque part.
Sara : Ils sont entre de bonnes mains. Et maintenant, t’as quel âge ?
Meïmouna : Ben, tu le sais, 10 ans !
Sara : Ouais, mais les gens qui vont lire, ils vont pas le savoir. Imagine s’ils croient que tu as 40 ans !
Tu te rappelles quand tu as commencé à avoir un doudou ?
Meïmouna : Mes premiers souvenirs, c’est quand j’avais 3 ans. En fait, j’ai toujours eu un doudou. Il ne me servait pas qu’à dormir. On avait notre cousine qui venait, et on s’amusait à laver nos doudous, et à leur brosser les dents. Après, ils étaient tout rugueux.
Moi, j’avais un copain quand j’étais petite, et lui, son doudou, c’était un gros bout de coton. C’était pratique pour les parents : quand il le perdait ou qu’il était sale, ils remplaçaient le coton. Ils n’avaient qu’à aller au supermarché.
Sara : ah ouais, c’est pratique… Et aussi mon doudou, celui qui s’appelait Bibika, en fait c’était une fée.
Meïmouna : Un papillon.
Sara : Et quand j’étais petite, je lui avais coupé les ailes. Elles étaient grandes, elles me dérangeaient. Et là elle ne peut plus voler.
Meïmouna : Bon, les doudous, enfin, tu sais, je m’en passe maintenant, mais bon, les grosses peluches à la foire, eh bien j’adore, mais j’en ai jamais eu.
Ça aurait pu devenir un doudou, un truc aussi gros ?
Meïmouna : Ben oui. Pourquoi pas ? Tout à l’heure, j’ai dit que j’avais trois doudous, mais je n’ai pas parlé du troisième. C’était un chien, enfin un tigre, ou une panthère. Et c’était ma mère ou mon père qui me l’avait acheté, et Sara m’a copiée en prenant une autre couleur.
Sara : Oui, moi aussi, je l’avais.
Et donc, c’était une panthère, un chien, un tigre ?
Meïmouna : Une panthère.
Sara : Un chien.
Meïmouna : Un chien-panthère.
Sara : Quand j’ai eu le chien, enfin, la panthère, je l’ai présentée à mes deux doudous. J’ai dit : « Voici un nouveau doudou. » Comme ça, ils se connaissaient.
Et tu l’appelles comment ? Doudou ?
Meïmouna : Ben, on les appelle par leurs prénoms. Quand on parle d’eux à d’autres gens, on dit « mes doudous », mais on s’adresse à eux par leurs prénoms.
Le doudou d’Anna [leur petite sœur], il est comment ?
Meïmouna : Tu veux dire Tofi ? Elle l’a eu à Noël, quand elle avait 1 an. Et elle a des greluches accrochées à son doudou.
Des grelots ?
Meïmouna : Euh, oui.
Sara : Laisse-moi expliquer : elle a un doudou-vache qui a le ventre qui s’ouvre. Et dans son ventre, il y a d’autres petits animaux. Une poule, un mouton. Que des animaux de la ferme. Il y en a qui font « pouët » quand on appuie dessus. D’autres qui font du bruit quand on les secoue.
Meïmouna : Elle peut pas dormir sans, sinon elle fait une crise. Elle est habituée à avoir un truc avec elle.
Tu crois que c’est ça, un doudou, un truc qu’on est habitué à avoir avec soi ?
Meïmouna : Ça te rassure.
Sara : À mon avis, il y a un autre truc, mais quoi, je ne sais pas.
Meïmouna : C’est comme une petite maman. Comme si elle était là.
Sara [d’une voix théâtrale] :
Comme un ange qui te protège.
Vous voulez pas vous poser des questions que j’aurais oublié de poser ?
Meïmouna : Ok. Dans quel pays ton doudou a été fait ?
Sara : Made in China ! Mais c’est nul comme question. J’espère que c’est pas Made in China.
Meïmouna : Est-ce que tu as pensé à laver ton doudou avant de l’utiliser ?
Sara : Ben non. Est-ce que, à ton avis, ton doudou il est d’occasion, ça veut dire qu’il a appartenu à une autre personne avant ?
Meïmouna : Non. Est-ce que ton doudou, c’est du coton synthétique ?
Sara : Euh… J’ai pas pensé à regarder l’étiquette. Tu as vraiment des questions débiles, toi. Ton doudou, à quelle époque tu l’aimais bien ?
Meïmouna : De toute petite à 9 ans.
Sara : Et si tu l’avais perdu à cette époque, tu aurais été comment ?
Meïmouna : Hyper triste.
Sara : C’est-à-dire ? Tu pleurerais tout le temps, tu pourrais plus dormir ?
Meïmouna : Je serais devenue peureuse.