3 octobre 2018

Judge Dredd’s not dead Le gouvernement des Juges dans la méga-cité

Carlos Ezquerra nous a quitté la semaine dernière. RIP.

En 1977, deux ans après la mort du général Franco, le dessinateur espagnol avait imaginé l’uniforme aux larges épaulettes dorées de Judge Dredd, personnage phare des comics britanniques, évoluant dans un monde post-apocalyptique régi par un État policier ultra autoritaire. Plus de quarante ans après, l’implacable flic du futur opère toujours dans les BD et au cinéma ; une série TV est même en production. Alors que, selon un récent rapport de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), la police française n’a jamais autant tiré à balles réelles sur la population, le Juge Dredd et son permis de tuer sur place constituent-t-il un modèle pour la police moderne ?

Cet article est issu du quatrième numéro de la revue papier Jef Klak, « Ch’val de course », encore disponible en librairie.

« De nos jours, personne ne peut imaginer l’immensité de Mega-city One au début du XXIIe siècle : plus de 800 millions d‘habitants entassés dans de vastes blocs, chacun accueillant 60 000 citoyens. Chaque bloc était une ville dans la ville. Naître dans l’hôpital d’un bloc, disparaître dans le crématorium du même bloc, il était possible pour un citoyen de vivre sa vie entière sans quitter son bloc ! Dans cette communauté compressée, la moindre tension pouvait se transformer en violence en un instant. Il fallait un système judiciaire de fer pour le contrôler : les Juges, avec leur pouvoir de sanction immédiate… »

2000 AD prog 117

2099 AD. : Joseph « Joe » Dredd est Juge de ville à Mega-city One, qui s’étend sur toute la côte est du continent nord-américain, de la Floride au Canada. Comme tous les autres Juges de ce futur sans avenir, Dredd cumule les pouvoirs de policier, juge d’instruction, procureur, juge, jury et bourreau. Brigade d’intervention à lui tout seul, il sillonne la méga-ville sur sa Lawmaster, une moto bourrée d’armes et d’électronique. « Judge Dredd est dur, mais juste. Mais surtout dur », dit-on de lui. S’il n’est qu’un des milliers de Juges qui surveillent les rues de la méga-cité, Dredd est sans doute le plus inflexible de tous, c’est-à-dire le plus brutal, le plus insensible, le plus imbécile.

There is no alternative

Le Juge Dredd patrouille depuis quarante ans dans les pages de l’hebdomadaire britannique 2000 AD. Créé par les dessinateurs Carlos Ezquerra et Mike McMahon et les scénaristes John Wagner et Pat Mills, ses missions ont débuté en mars 1977 dans le prog 2 1 du « plus grand magazine de la Galaxie » – deux ans avant l’accession au poste de premier ministre de Margaret Thatcher et en plein essor du mouvement punk. Elles ne se sont jamais interrompues depuis 2. Pat Mills et John Wagner sont d’ailleurs les co-créateurs de cette revue anthologique de science-fiction, inspirée de magazines français ou américains comme Métal hurlant, Éérie, Creepy ou Vampirella. L’hebdomadaire 2000 AD a dépassé le no 2000 en novembre dernier 3. Comme une année éditoriale 4 correspond à une année sur Mega-city One, Dredd commence à officier en 2099 dans les affaires publiées en 1977 et vit aujourd’hui en 2139 dans les parutions de 2017.

(Clo)né en 2066, l’indéboulonnable Juge a plus de 70 ans, mais est toujours en service grâce à son accès privilégié à une médecine très pointue. Brèves ou sérielles, les histoires en noir et blanc du Juge Dredd décrivent le quotidien d’une mégapole futuriste concentrationnaire. À travers le regard obtus de l’inébranlable Juge, ses créateurs construisent petit à petit un univers dystopique et post-apocalyptique. Ils revisitent avec un humour très noir les thèmes classiques de la SF : innovation technique incontrôlable, consumérisme pathologique, clonage et mutations génétiques, révolte de robots, immigration alien, créatures extra-dimensionnelles, paradoxes temporels, prophéties apocalyptiques… Comme la plupart des nouvelles fantastiques publiées par 2000 AD de la fin des années 1970 au début des années 1980 5, Judge Dredd dépeint un monde sans horizon qui résonne avec la société autoritaire que mettent en place Thatcher et Reagan de chaque côté de l’Atlantique : celle du chômage de masse et de la répression systématique de tout ce qui déborde. À Mega-city One, tout le travail manuel est effectué par les robots, et le chômage atteint 87 %. De quoi faire de la répression de l’émeute la priorité numéro un de Dredd : « Une seule étincelle et je vais me retrouver avec une émeute sur les bras. Toute agitation doit être écrasée très vite, sans pitié, pour le bien de tous 6. »

I’m the Law !

Au XXIIe siècle à Mega-city, fumer du tabac en dehors du fumatorium municipal, traverser hors des clous, consommer du café ou du sucre, tenter de se donner la mort, vendre ou dessiner des comics peut mener à des années de confinement en iso-cube. À condition de survivre à l’arrestation. Le Juge Dredd peut ravager tout un bloc pour juger un quidam ayant jeté un papier à terre. Le plus inflexible des Juges ne tolère pas le moindre écart, même s’il peut se montrer magnanime dans la modulation de la sanction, prérogative des Juges : « Notre boulot n’est pas de les dorloter. Mais parfois, c’est difficile de ne pas être ému par un cas particulier. Parfois, un Juge peut se montrer clément 7 », se dit-il après avoir condamné aux travaux forcés à vie un chômeur ayant tiré sur la foule à la suite de son licenciement. C’est en 2030 que le sénat américain a adopté le système de « Justice immédiate » qui aboutit à la création du corps des Juges et à l’abandon des procédures et des tribunaux. Il a fallu vingt ans pour que ce nouveau système judiciaire soit opérationnel et que son promoteur, Fargo, soit nommé premier Juge suprême de l’agglomération s’étendant de Washington à New-York – la première méga-cité. Mais en 2070, le président américain Robert L. Booth déclare la guerre au monde entier, et une pluie nucléaire s’abat sur la planète. La majeure partie du continent nord-américain devient un désert irradié (les « Terres maudites ») au sein duquel seules trois méga-cités surnagent. Soutenus par la population, les Juges renversent l’armée et le gouvernement américains. Depuis, les méga-cités sont indépendantes et gouvernées par un Juge suprême et un Haut-Conseil composé de cinq Juges 8.

All clones are bastards

Les Juges sont sélectionnés dès l’âge de 5 ans et élevés à l’Académie de la Loi jusqu’à leur mise en service. Joe Dredd, lui, est en fait un clone du Juge Fargo, « père de la Justice », génétiquement sélectionné pour ne tolérer aucun délit. Autre copie, Rico Dredd a grandi à ses côtés à l’Académie et est devenu un Juge corrompu. Son intègre clone-frère l’a lui-même arrêté et condamné à vingt ans de travaux forcés sur la colonie pénitentiaire de Titan, où sa bouche et son nez ont été scellés, son corps adapté pour travailler dans le vide sans coûteuse combinaison spatiale. Le Département de la Justice a depuis produit d’autres clones du premier Juge suprême et de Dredd – ce qui revient au même. Tous les Juges de rue titulaires portent le même uniforme. Le dessinateur Carlos Ezquerra, qui a grandi dans l’Espagne de Franco, leur a confectionné un costume volontairement outrancier. Un gros aigle doré orne l’épaulette droite de leur uniforme, une chaînette retient l’énorme badge de poitrine, et un casque leur barre les yeux. Tandis que la plupart de ses collègues l’ôtent régulièrement, laissant voir leur visage, Joe Dredd n’enlève jamais son heaume, symbole de justice incorruptible. En quarante ans de service, le plus impassible des Juges n’a laissé voir aux citoyens de Mega-city et aux lecteurs que son imberbe et imposant menton, jamais le haut de son visage adulte 9.

Heavy metal Dredd

Inébranlable, insensible, imbuvable, Dredd est finalement moins un personnage qu’une figure abstraite de représentant idéal de la loi. Et seul un humour excessivement noir permet de supporter une figure si antipathique, même si les auteurs ne peuvent pas toujours aller aussi loin qu’ils le voudraient. Pat Mills écrit : « Ce n’était peut-être pas comique, mais on se moquait clairement des flics fachos, d’une manière quelque peu biaisée. Et le lecteur se retrouvait devant ce qu’il – je le savais – souhaitait : le policier le plus terrifiant qui soit. Un croque-mitaine. Soit dit en passant, il faut toujours être très prudent lorsqu’on se moque des héros eux-mêmes. On peut faire la satire du monde et d’autres personnages, mais jamais du héros. Toute attaque “personnelle” contre Dredd déclencherait une levée de boucliers chez les lecteurs. […] Un responsable éditorial de chez Marvel m’a présenté la chose ainsi : “Se moquer du super-héros préféré du lecteur, c’est comme se moquer de sa bite 10.” »

Auteur de la majorité des scénarios des premières années de l’inexorable Juge, John Wagner veille sur l’évolution de sa créature depuis quatre décennies, et n’a jamais cessé de restituer ses actions, mêlant avec brio polar, SF et humour cruel. Il a souvent fait du flic du futur le sauveur de la méga-cité, notamment dans ses premières sagas populaires, où Dredd réprime une révolte de robots travailleurs, ou bien se rebelle contre le tyrannique Juge suprême Cal – qui pousse l’abus de pouvoir jusqu’à nommer son poisson rouge Vice-Juge suprême et prononcer la peine de mort pour toute la population de Mega-City One. Il a même été jusqu’à faire de l’insensible Juge un héraut de la libération animale, à l’origine de la « loi Dredd » interdisant toute expérimentation sur les animaux 11. Anti-autoritaire et anticapitaliste épidermique, le père fondateur de l’illustre Juge a cependant toujours pointé un regard impitoyable sur ses irritants anti-héros, qu’ils soient Juges, citoyens, punks, robots ou « mutos ». Mais c’est avec son compagnon d’écriture Alan Grant qu’il offre le traitement le plus trash et politiquement incorrect du Juge et de son monde. Leur série Heavy Metal Dredd, peinte par le déjanté Simon Bisley au début des années 1990, est ainsi un décapant outrage à toute bienséance.

Gardiens de la paix, mon œil !

Dans une précédente chronique consacrée à Superman et Batman 12, j’ai décrit les visions complémentaires de la Justice et du maintien de l’ordre social qu’incarnent ces deux super-héros américains. Le premier, avec ses grosses valeurs en technicolor, cherche à donner l’exemple à tous les humains en leur apportant la Vérité, la Justice et l’Idéal américain. Le second, avec sa vison manichéenne du Crime, veut insuffler l’effroi à tous les délinquants. Que ce soit sous couvert de guerre au crime ou au terrorisme, l’évolution de la police moderne dans la plupart des pays occidentaux semble avoir laissé de côté l’idéal universaliste du Super-slip alien – exemplarité du pouvoir et proximité avec la population – au profit de la doctrine sécuritaire portée par le Batman : s’imposer par la peur dans la rue, terroriser pour dissuader, mutiler pour faire exemple.

Pour gouverner la rue par la peur, Dredd et ses collègues sont encore mieux équipés que le milliardaire-chauve-souris avec sa batmobile, ses batarangs et autres gadgets high tech. Les Juges de rue patrouillent sur de luxueuses Lawmasters, véritables intelligences artificielles blindées sur deux roues. Chaque Juge est doté d’un imposant Lawgiver, arme à commande vocale qui peut tirer six types de munitions différentes 13. Aujourd’hui, les entreprises d’armement développent justement ce type d’armes qu’ils appellent « rhéostatiques » et dont les caractéristiques correspondent à une nouvelle doctrine du maintien de l’ordre : pouvoir moduler la violence et choisir le degré de dommages à appliquer à chaque situation de conflit – de la douleur à la blessure et de la blessure à la mort 14.

Légitime défiance

Pendant le mouvement contre la loi Travail en 2016, des manifestations sauvages de policiers masqués et armés ont eu lieu dans toute la France, avec pour revendication principale la « présomption de légitime défense ». Un doux euphémisme pour désigner l’assouplissement de la loi régulant l’usage des armes à feu pour la police, ce qui revient à revendiquer ni plus ni moins que le permis de tuer 15. Alors que Superman et Batman s’interdisent de tuer leurs adversaires, le Juge Dredd procède en toute légalité à l’« exécution standard » de quiconque cherche à se soustraire à son jugement, incarnant ainsi un fantasme policier d’actualité.

Mega-city One et son système des Juges est en effet une véritable cité-État policier, qui semble tout droit sortie de l’imagination des plus radicaux défenseurs de l’ordre sécuritaire. Les lois y sont faites par et pour les Juges, qui ont donc tous les moyens pour faire régner l’ordre, c’est-à-dire la terreur. Ainsi, grâce à la loi de 2086 sur la présomption de culpabilité, les Juges peuvent interroger ou faire des prélèvements sur tout citoyen envers qui ils entretiennent des « soupçons raisonnables ». Ils peuvent faire des perquisitions à domicile chez des habitants tirés au hasard (article 59D du code juri-pénal de Mega-city One) ; ils appellent ça des « crime blitz », avec un taux d’infraction constatée de 100 %. Bref, la méga-cité est gouvernée sous un état d’urgence permanent et son arsenal législatif répressif rappelle fortement les lois anti-terroristes adoptées dans la plupart des États en ce début de XXIe siècle. Comme tout fonctionnaire de police en temps de crise, les Juges de rue doivent en outre se soumettre à la politique du chiffre : le Département de la Justice fait régulièrement pression pour que les Juges tirent à vue, même pour les délits mineurs, afin de réaliser des économies sur les frais d’incarcération en iso-cubes.

La dystopie inventée en 1977 n’est donc pas seulement symptomatique de l’époque de son invention – la contre-révolution autoritaire et libérale initiée par Thatcher et Reagan. Chose finalement plus rare pour une œuvre futuriste, elle anticipe bien le monde d’aujourd’hui – environnement irrémédiablement empoisonné, urbanisation insatiable, capitalisme meurtrier, crises systémiques, catastrophes récurrentes, et un devenir toujours plus autoritaire des États métropolitains.

Adama et Théo nous rappellent pourquoi Zied et Bouna couraient

Judge Dredd pastiche aussi les impitoyables vigilantes 16 popularisés par le cinéma et les comics de super-héros américains à partir de la fin des années 1970 17 ; ces justiciers urbains qui se sont donné pour mission de terroriser et de punir individuellement les criminels, quitte à enfreindre la loi. L’implacable Juge de Mega-City One partage avec eux une méthode – l’exercice quotidien de la violence dans la rue –, mais s’en distingue radicalement dans la mesure où il incarne littéralement la Loi. Il est la Loi, comme il ne cesse de le répéter lors de ses interventions.

Lors de la lutte contre la loi Travail au printemps dernier, des photographies de presse 18 ont montré un CRS portant une matraque décorée d’un autocollant du crâne du Punisher 19. Ce vigilante expéditif est aussi très populaire au sein des forces militaires américaines en Irak, où des soldats exhibent son crâne-emblème sur leurs casques, leurs T-shirts, leurs sacs, leurs véhicules, leurs gilets pare-balle 20. Cette popularité au sein des professionnels de la violence légale révèle un fantasme de vengeance débridée ayant peu à voir avec la volonté de faire respecter la loi.

Photo : Yann Lévy

Les études sur la police ont montré que la loi ne constitue pas la première référence des policiers. Contrairement à ce qu’ils prétendent eux-mêmes, les représentants de l’Ordre social ne consacrent qu’une infime part de leur temps de travail à « arrêter les criminels ». Leur action quotidienne ne se fonde généralement pas sur les lois, mais sur des notions purement subjectives de ce qu’ils considèrent être l’ordre à maintenir 21. De quoi laisser bien des prises aux préjugés de classe, de race, de genre, et mener à tant de violences quotidiennes mal-nommées « bavures ».

La police viole, mutile, tue

Chaque histoire de violence policière – ainsi le meurtre d’Adama ou le viol de Théo – rappelle combien la violence ordinaire de la police a peu à voir avec l’application de la loi. Et leur traitement judiciaire, combien les policiers sont généralement plus attachés à leur impunité qu’au respect de la légalité, n’hésitant pas à falsifier leurs déclarations pour se couvrir et retourner l’accusation contre leurs victimes 22.

L’intransigeant Juge Dredd, lui, ne desserre jamais les dents et ne bave jamais. Impartial, il juge aussi durement les « minables punks », les mères isolées fraudeuses, les milliardaires irresponsables ou les ambassadeurs alien dès qu’ils débordent du cadre légal. Il s’en tient strictement à la loi, qu’il potasse durant ses rares heures de congé. « Il n’y a qu’un seul amour possible dans la vie d’un Juge… celui de la Loi », songe-t-il après avoir abattu un collègue qui s’apprêtait à tuer illégalement l’assassin de la Juge novice dont il était amoureux. L’incorruptible Dredd préfère balancer ses collègues – y compris son propre clone-frère – que laisser impuni le moindre délit. Son légalisme inaltérable est ainsi plus fort que son esprit de corps, ce qui le rend souvent impopulaire dans sa propre unité, et le distingue absolument de la réalité des pratiques policières.

Au-delà de la satire irrévérencieuse, Judge Dredd offre donc une réflexion passionnante sur la police et la justice, qui déborde la dénonciation de la corruption et autres dérives des institutions auxquelles nous ont habitués la culture populaire américaine. Représentant idéal de la Loi, il donne à voir la monstruosité de la loi elle-même, aveugle aux vies qu’elle écrase.

Méga-cité ciné : de Hollywood à Cape Town

En 1995, les studios Disney adaptent Judge Dredd pour le cinéma. Sylvester Stallone y incarne comme un ongle le rôle-titre. Il semble beaucoup s’amuser à rouler des mécaniques avec d’énormes épaulettes en toc et de très moulants collants, et à beugler qu’il est la Loi et l’ordre dans un futur de pacotille. Mais les calembours et clowneries pyrotechniques de l’auteur de Rocky n’ont pas grand chose à voir avec l’humour anglais. Et si ce navet à gros budget popularise le personnage au-delà de l’Empire britannique, il balaie complètement le sous-texte critique de départ. Surtout, Stallone tient à peine un quart d’heure avant d’enlever son casque de Juge pour nous exposer son inaltérable gueule d’étalon italo-américain pendant presque tout le film…

Simplement intitulée « Dredd », une seconde adaptation, de production britannico-sud-africaine, paraît sur les écrans anglo-saxons en 2013, mais pas en France. Cette série B très premier degré campe sobrement la méga-cité au milieu du désert irradié, avec ses blocs géants qui émergent des vieilles tours, avant de tourner au huis-clos dans un bloc contrôlé par un gang, qu’affronteront seuls Dredd et une novice mutante aux pouvoir psi. Le jeune Juge est interprété par Karl Urban (le docteur McCoy dans les reboot ciné de Star Trek par J.J.Abrams). L’acteur néo-zélandais ne quitte jamais le casque lui barrant les yeux et joue très bien du menton, reproduisant l’inexorable grimace du Juge de papier : un sourire à l’envers imperturbable. Mais malgré quelques piques, le sérieux de ce petit film d’action rate finalement lui aussi l’essentiel de l’œuvre originelle : la satire impitoyable d’un monde sans avenir.

Davantage que d’autres adaptations officieuses du comic book comme Demolition man – où l’on retrouve Stallone en flic brutal projeté dans un futur au fascisme policé –, ce sont peut-être les films d’anticipation du « hollandais violent » Paul Verhoeven – Robocop, Total Recall, et surtout Starship Troopers – qui approchent le plus la dérision très british de la SF à la Judge Dredd et 2000 AD.

  1. Chaque exemplaire de 2000 AD est numéroté « prog » (« prog 2 » pour le no 2). Les scénaristes sont crédités « Script Robot » et les dessinateurs « Art Robot ».
  2. Depuis 1990, un mensuel en couleur, Judge Dredd megazine (sic), est entièrement dédié à l’inénarrable Juge et son monde.
  3. Et depuis quarante ans les gros éditeurs de comics américains recrutent de nombreux scénaristes et dessinateurs britanniques après qu’ils ont fait leurs armes dans 2000 AD : Alan Moore, Neil Gaiman, Brian Bolland, Dave Gibbons, Alan Davis, Ian Gibson, Pat Mills, Kevin O’Neill, Bryan Talbot, Steve Dillon, Simon Bisley, Warren Ellis, Garth Ennis, Mark Millar, Peter Milligan, Grant Morrison, Frank Quitely…
  4. Comme dans les autres hebdomadaires illustrés anglais pour garçons, les histoires du Juge Dredd sont publiées en épisodes de quatre à six pages qui constituent soit une courte histoire indépendante, soit une partie d’une saga plus longue à suivre chaque mois dans le megazine.
  5. Les Targ’s Future-shocks, D.R & Quinch, et La Ballade de Halo Jones scénarisés par Alan Moore transpirent ainsi d’une haine viscérale envers Margaret Thatcher et son monde
  6. « Judge Dredd : Cityblock 1 », 2000 AD prog 117.
  7. « Judge Dredd : Cityblock 2 », 2000 AD prog 118.
  8. Judge Dredd : Origines, écrit par John Wagner et dessiné par Carlos Ezquarra et Kev Walker, Delirium, 2016.
  9. Dans 2000 AD prog 8, un gang l’aveugle en tirant sur le viseur de son casque avec un vaporisateur de plastique. Dredd enlève son casque. Un bandeau « censuré » masque son visage. Les punks s’écrient : « Le visage de Dredd ! C’est horrible ! Avec une trogne pareille, il ne devrait pas avoir le droit de vivre ! Tuez-le ! » Il s’agit d’une de ses premières aventures ; le personnage se cherche encore et cette histoire de visage défiguré ne sera pas reprise par la suite.
  10. Dans la très instructive préface spécialement écrite pour la réédition des 46 premiers épisodes de Judge Dredd par les rigoureuses éditions Delirium en 2016. Entièrement retraduites pour l’occasion, ces Affaires classées 01 balaient le travail bâclé par les barbares éditions Soleil, anciennement détenteurs de tous les droits d’exploitation du Juge et son monde.
  11. 2000 AD prog 126.
  12. « Super-slips VS Bat-capes, Vérité et Justice VS Terreur et Sécurité », Jef Klak no  2, « Bout d’ficelle »
  13. Balles simples, ricochets, incendiaires, explosives, turbo-sulfateuses à têtes chercheuses, dum-dum. À noter que les Juges ne s’encombrent pas de munitions « sublétales ».
  14. Lire à ce sujet L’arme à l’œil, Violences d’État et militarisation de la police, Pierre Douillard-Lefèvre, Le Bord de l’eau, 2016.
  15. Cet assouplissement des règles d’ouverture du feu leur a été accordé par le Parlement, qui a adopté définitivement en février 2017 le projet de loi relatif à la Sécurité publique. L’article 1 autorise les policiers à tirer en dehors de tout état de légitime défense ou de nécessité, sur des personnes armées, mais également sur des personnes qui s’enfuient, des véhicules menaçants, ou pour protéger un territoire.
  16. Anglicisme tiré du latin « Vigiles Urbani  », désignant les veilleurs de nuit de la Rome antique, chargés de combattre le feu et d’arrêter les mendiants et les esclaves en fuite.
  17. Charles Bronson dans Un Justicier dans la ville, Clint « Dirty Harry » Eastwood, le Batman revisité par Frank Miller, le Punisher de Marvel comics.
  18. « Une tête de mort emblème du Punisher sur la matraque d’un policier pendant les manifs Loi Travail », 19 avril 2016, Huffingtonpost.
  19. Créé en 1974, Frank Castle alias le Punisher est un personnage de fiction sans superpouvoir, qui combat le crime organisé pour venger sa famille, victime d’un affrontement entre gangs. Adepte de la vengeance et de la justice personnelle, il préfère exécuter les malfrats que les livrer aux institutions policières et judiciaires, trop laxistes à son goût.
  20. « How a Marvel comic hero became the icon of the fight against ISIS », Time, 13 avril 2015.
  21. Lire Mark Greif, « Portrait du policier en Donut, Pour une phénoménologie de la police », jefklak.org, traduction Judith Chouraqui de « Seeing Through Police. The donut is equivocal », N+1, no 22.
  22. Depuis la mort d’Adama Traoré, tué par les gendarmes à Beaumont-sur-Oise en juillet 2016, les institutions policières et judiciaires n’ont cessé de s’acharner sur sa famille, particulièrement Bagui, témoin du meurtre de son frère. Incarcéré depuis décembre, il a d’abord été condamné pour outrage, violence et menace de mort, avant d’être accusé avec sa compagne de « tentative d’assassinat sur personne dépositaire de l’autorité publique ». Suite au viol de Théo par quatre policiers en février dernier à Aulnay-sous-bois, sa famille n’a pas été criminalisée au lendemain des faits. Mais dès la fin du mois a été ouverte une enquête pour « suspicion d’abus de confiance et escroquerie », concernant une association dirigée par un de ses frère. Sur la criminalisation des victimes de violences policières, lire aussi le témoignage du collectif 8 juillet au procès en appel de supporters bastiais à Reims en février 2017, < collectif8juillet.wordpress.com >