Disque Pied à terre

Des mois que le groupe son de Jef Klak travaille dur : réflexions, discussions et improvisations collectives promettent un CD « Pied à terre » du tonnerre. Sauf que voilà, au moment de concrétiser le tout, ça bloque. Pour comprendre pourquoi, le collectif se lance dans une autoenquête qui mêle documentaire, fiction et expérimentation, et qui interroge ses désirs, ses matérialités… et ses mystiques.

Avec la participation d’Emma Loriaut : emmaloriaut.com.

« Sinon on dit qu’on s’est fait piquer le CD. »

Septembre 2018. Après la course effrénée du précédent numéro, le groupe son de Jef Klak se met en quête d’un repaire musical à fabriquer ensemble, avec une question derrière la tête : comment transcrit-on la conquête, le repos et le déséquilibre au niveau sonore ?

Comme à chaque numéro, on cherche à remettre en jeu nos manières de faire du commun selon les envies et les aspirations des membres du groupe pour inventer des formes de narration inédites.

On prend alors le thème à bras-le-corps, on le malaxe, on l’extériorise. On rêve d’une œuvre collective : une pièce matrice s’appuyant sur un texte technique, pied-à-terre autour duquel graviteraient des pièces satellites.

Janvier 2019. On s’accorde sur un texte de cavalerie militaire très XIXe siècle, qui nous plaît pour son côté méthodique et concret, mais pas seulement. Aussi pour le suspens et la poésie qui en émane et pour toutes les potentialités qu’il recèle, explorant à sa manière le thème.

Après «  Selle de ch’val  » et «  Ch’val de course  », on se dit «  Ça parle encore de cheval !  » mais, cette fois-ci, c’est pour en descendre.

Mars 2019. On se retrouve en résidence à Un lieu pour respirer, aux Lilas (93). Pendant trois jours, on déroule des câbles, on dresse des micros, on frappe du pied et on se fixe des règles pour improviser ensemble en compagnie de résident·es du lieu.

On fabrique des matières sonores collectives en s’en remettant aux dés.

— 4 : nous serons quatre à improviser – je tire les quatre noms du chapeau.

On relance :

— 2 : deux minutes d’improvisation – tu relances ?

— 10 : ohhh, tu as tiré la carte «  repaire de pirates  ». Vous avez une minute pour vous préparer.

— Tu t’installes là ? C’est parti, vous êtes prêt·es, je lance l’enregistrement – et moi le chrono.

On se raconte des histoires, on chante, on relance les dés, on joue de la gratte, on balance des drones, en solo, à quatre ou à neuf. Dans ce lieu, on fait une pause, un pas de côté, en dehors de nos vies.

On est dedans, on expérimente, on tente, on fait – c’est parfois inconfortable, instable –, c’est parfois jouissif, on découvre, on teste, on se regarde, on est complices.

On passe la rêne droite dans la main gauche on déchausse l’étrier droit on saisit avec la main gauche une poignée de crins on passe la jambe droite par-dessus la croupe, on y est presque… le corps en suspens…

Puis plus du tout. On rate un bus et un train, on court après les temps communs, pour le montage on peut commencer demain, pour l’instant on n’a pas eu une minute pour s’y mettre, mais demain on a pas mal de trajets en train et un casque donc ça tombe bien. On se fera un retour tard le soir ou tôt le matin et si on a besoin de matière supplémentaire on pourrait peut-être enregistrer un·e voisin·e entre 14 h et 17 h, si on est bien sûr·e que ça rentre dans le thème pour les pièces satellites, on peut se voir dans un mois pour la prochaine résidence, d’ailleurs quelqu’un·e a une idée pour récupérer des haut-parleurs pour cette fois ?

— Ola les gens, y a quelqu’un·e ? Je m’inquiète.

— Oui, merci pour ton mail.

— On voulait faire un essai pour donner envie d’écouter, mais…

— Et merci pour ta proposition de montage.

— Mais, c’est quoi l’objet de ce son en fait ?

— Peut-être qu’il me faut une période d’adaptation, parce que là je n’ai pas tout suivi.

— Je trouve que c’est un peu flottant.

— C’est hyper dur de suivre tous ces mails…

— Je sens comme une «  tension  », là, non ?

— Enfin une certaine inquiétude, oui. On est trop charrette là, pour une vraie pièce collective.

— Est-ce qu’on peut réfléchir à ce qui coince ?

— Les ami·es, je vous lâche pour les 11-12, au profit de l’AG du 17.

— En tout cas ça reste un peu confus, ouais.

— Je suis sûre pourtant qu’avec la matière qu’on a…

— Et finalement, pourquoi on n’a toujours pas de CD ?

— Il n’est pas trop tard pour s’y remettre ! On est quatre à être dispo à la fin du mois.

— Mais du coup y a des sons à écouter sur le cloud ?

— Je sais plus trop là. Il faudrait enquêter.

— Je vais appeler X., je pense qu’elle pourra nous aider dans nos recherches.

— Je dirais même auto-enquêter.

— OK, mais ça ne nous redonne pas le CD ça.

— Sinon, on dit qu’on s’est fait piquer le CD ?

— Je trouverais personnellement que c’est une bonne solution.

— Attends, j’appelle A. !!

— D’ailleurs, ça peut être une idée ça, tu veux que je t’enregistre en train de passer le coup de fil ?